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les écrits fantasmagoriques
4 février 2022

Transylvanie express (10)

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- C’est drôle ! Cela fait à peine quelques jours que nous nous connaissons, pourtant j’ai l’impression que ça fait une éternité.

Sur le coup, elle ne réagit pas, continuant de manger une pêche au sirop en la découpant à l’aide d’une cuillère. Les morceaux de fruit s’entrechoquaient dans une coupole pleine de liquide sucré et translucide. Elle essaya, sans l’aide d’autre ustensile, de placer, une petite partie détachée, dans le couvert. Puis, une fois réussie, elle dirigea la cuillère vers sa bouche arrondie et qui me donnait envie de l’embrasser.

Je ne remarquai pas les autres voyageurs assis dans le wagon-restaurant. Comme d’habitude, ils discutaient dans un brouhaha presque caché par les roulements du train. Ludmilla remua le reste de la pêche avec sa cuillère avant d’en détacher une partie. Elle hésita à lever la tête et rencontrer mon regard. Toutefois, après qu’elle eut mâché puis avalé, je remarquai un petit détail insignifiant qui en disait beaucoup ; c’était un petit sourire au coin de ses lèvres.

- On se connait depuis quelques jours et j’ai l’impression que cela fait...

- J’ai entendu, dit-elle. Mais tu ne me connais pas.

- Parle-moi de toi, alors. Mais, je suis certain de ne rien apprendre.

Elle écarquilla les yeux, m’observa en affichant un air de surprise. Elle inspira soudainement, réfléchissant sur la manière dont elle devait répondre. Puis, elle rejoua avec le reste de la pêche, cherchant à le mettre dans la cuillère tout en le poussant.

- Je sais que tu me caches des choses, continuai-je. Par exemple, l’homme qui vit avec toi… dans ta cabine. Je ne sais pas qui il est. Ton mari ? Ton père ? Ton compagnon ? Je…

- Je comptais t’en parler, interrompit-elle.

Elle posa la cuillère, regarda mon assiette vide. Je n’avais pas touché à la part de tarte aux pommes. En fait, je n’avais pas faim. Je gardai à l’esprit que le train arrivait dans la soirée en gare de Vienne et qu’elle allait bientôt quitter ma vie. J’avais réfléchi sur ma présence dans ce train, dans ce monde, et j’en concluais que j’étais là pour la rencontrer. Je jouais un rôle auprès d’elle et réciproquement. Mais lequel ?

Les gens, derrière moi, discutèrent sur la beauté de la campagne autrichienne. L’un d’eux exprima un profond regret de ne pas pouvoir partir en Suisse. Il raconta l’histoire du village visible au loin. Cependant, je ne vis qu’un brouillard aussi pesant qu’épais. Une vraie purée de pois dont il était impossible de distinguer quoi que ce soit. Ludmilla interpela le serveur qui passa en tenant un plateau d’assiettes sales. Le garçon à la moustache fine et aux cheveux peignés de gras, se pencha pour écouter son murmure avant de partir en hochant la tête.

- Dans la cabine de Monsieur, s’il vous plait, ajouta-t-elle.

Ensuite, elle se leva et m’invita à l’accompagner jusqu’à ma couchette. Elle ne voulait pas partir sans un dernier souvenir… un dernier moment d’égarement, pensai-je. Pendant la traversée du restaurant, j’eus la sensation d’être observé par les clients, comme s’ils savaient ce que nous allions faire. Je marchai derrière elle, humant son parfum de vanille et de fleur d’oranger. Il occupait une part de plus en plus importante dans mes émotions. Elle s’arrêta devant chaque porte, attendant mon intervention pour l’ouvrir. Ensuite, elle reprenait la tête de notre marche dans les couloirs des compartiments. J’observai les passagers dans leurs cabines dès qu’une porte demeurait ouverte. La majeure partie restait assise sur la couchette, lisant, jouant aux dames ou aux cartes. Ils attendaient l’arrivée en gare de Vienne. Pourtant, il restait encore un après-midi entier avant d’entrer dans la capitale autrichienne, surtout qu’un contrôleur avait prévenu d’un retard possible.

A peine entrés dans ma cabine qu’on frappa à la porte ! Un jeune homme habillé d’une blouse blanche entra pour déposer sur la commode, servant à la fois de table et de bureau, deux flutes ainsi qu’un seau de glace. Il sortit une bouteille de champagne hors du seau, qu’il déboucha avant de remplir les verres de son liquide pétillant. La mousse retomba aussi vite qu’elle monta. Je ne dis rien sur mon dégoût pour le vin en général, particulièrement, le champagne. Parce que cela donnait mal à la tête.

Assise sur le bord du lit, Ludmilla récupéra une coupe et attendit que le serveur sorte pour me proposer de trinquer. Je pris l’autre verre, le cognai contre le sien provoquant un tintement de cristal. Je me posai près d’elle, attendant qu’elle prenne ma main ou qu’elle s’approche pour un baiser sensuel. Cependant, elle but une gorgée puis, elle fixa de ses yeux marrons, le mur séparant nos cabines. Dès lors, elle se mit à rire.

- Il nous regarde, dit-elle. Depuis le début, il nous regarde !

- Qui ? demandai-je.

Son visage se figeait étrangement. Parfois, il changeait comme si j’avais loupé quelques secondes. Tantôt, elle souriait, une seconde plus tard, elle semblait pleurer. Puis, ses yeux, sa bouche, son nez, la forme ovale de son visage s’embrumèrent laissant place à une espèce de ballon de football aux traits flous et tournant au point de rien voir. J’inspirai fortement, cherchant à cacher mon inquiétude. Je bus entièrement mon verre de champagne. Et constatant le retour de son doux visage, je posai le verre sur le meuble. Je n’avais pas entendu sa réponse. Toutefois, je gardai le silence. Elle m’observa longuement avant de dire :

- Tu sembles fatigué. Je vais te laisser et le rejoindre. Je te souhaite le plus beau des bonheurs, parce que tu le mérites.

Elle se leva. A ce moment, j’attrapai sa main et la portai contre mes lèvres. Elle accepta mes baisers sur ses doigts, elle accepta que je l’utilise pour caresser ma joue. Elle parut douce et soyeuse. Ludmilla soupira avant de s’éloigner et quitter la cabine. Je regardai mon amie ouvrir la porte puis la claquer une dernière fois. Je suivis des oreilles ses pas dans le couloir, la porte de sa cabine grincer et se refermer brutalement. J’entendis quelques mots, quelques échos, quelques phrases. Enfin, plus rien ! Alors, le cœur en peine, je m’allongeai sur le lit, inspirant ce qui restait de son parfum dans l’air. Alors, je m’endormis.

Le chef de gare hurla à hauteur de ma fenêtre ; il invitait les derniers voyageurs à se dépêcher. J’ouvris la fenêtre pour essayer d’apercevoir une dernière fois Ludmilla. Le quai ne se vidait pas. Je crus la voir de dos, avant de réaliser qu’il s’agissait d’une autre femme. En fait, je crus la voir parmi toutes les femmes présentes sur le quai. Le même remue-ménage s’organisa dans le wagon avec les nouveaux arrivants. On s’excusait, on parlait fortement, cherchant auprès de contrôleurs les bonnes places ou les bonnes cabines. Les valises frottaient sur le sol ou cognaient contre les portes et les parois. Je commençai à regretter le départ de Ludmilla, je commençai à regretter de ne pas rêver.

J’allais me rassoir sur la couchette lorsque je reconnus son manteau. Elle le portait pendant notre balade dans Venise. Elle précédait un homme à l’air vieux et aux cheveux grisonnants. Deux grooms les suivaient en portant des bagages. Elle ralentit sa marche pour tourner la tête dans la direction du train. Son regard croisa le mien. Dès lors, elle s’immobilisa au milieu de la foule qui s’activait énormément. L’homme disparut parmi ces gens à la recherche de leur correspondance, tandis que les grooms attendaient qu’elle fasse de même. Elle leva une main gantée pour me saluer. Elle fit ensuite un pas vers le hall de gare puis se ravisa. Et sans comprendre la raison, elle retourna vers le train.

Je m’attendais à la voir approcher jusqu’à la fenêtre. Je me doutais de ses mots du genre : « Je ne t’oublierai jamais ». Mais à ma grande surprise et celle des domestiques, elle grimpa les escaliers du wagon.

- Ludmilla ! cria une voix lointaine.

Elle regarda l’homme qui avait partagé sa cabine avant de lui lancer un baiser moqueur à l’aide de sa main. Cependant, il ne fit rien pour la retenir ni empêcher le groom portant ses affaires. Ce dernier suivit mon amie qui courut dans le couloir, bousculant au passage les voyages égarés jusque devant ma porte. Mon cœur battit la chamade au premier toquement.

Alex@r60 – février 2022

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  • Mes petits récits et poèmes érotiques et fantastiques ainsi que quelques souvenirs partagés. Bref une vraie petite librairie ou j'espère que tout le monde trouvera un truc chouette à lire
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