Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

les écrits fantasmagoriques

24 juillet 2022

Magie

tumblr_2045364da6386a26bd97446b9322ff36_bdc8a9f5_400

Toute l’assemblée retenait sa respiration. Les invités avaient été bluffés par sa magie. Celui qui fut hypnotisé cherchait encore à comprendre, comment il a pu marcher à quatre pattes en aboyant sur la scène. Affublé d’une queue de pie et d’un nœud papillon, Rolland continuait à impressionner. On était loin des tours de passe-passe ou des jeux de cartes dont il fallait récupérer l’as de pique. Il émerveillait si bien qu’on l’appelait le roi des magiciens.

-          Et maintenant, le clou de la soirée, annonça-t-il.

Deux caméras qui diffusaient l’émission se tournèrent sur lui pendant que les autres filmaient le public. Derrière lui, un écran afficha une jeune femme tenant un micro à la main. Tout le monde reconnut une présentatrice en vogue. Ses cheveux longs et bruns voltigeaient. Derrière elle, la tour Eiffel éclairait les champs de Mars au milieu de la nuit.

-          Alors, comment est la vieille dame de Paris ? demanda-Rolland, je ne parle pas de vous bien sûr.

-          J’avais compris, répondit-Jana en gloussant. Elle va bien et se tient fièrement dressée derrière-moi.

Après quelques échanges d’un humour douteux, le magicien annonça son dernier tour. Il invoqua un démon chinois, puis un dieu mésopotamien suivi d’une horde de noms tous aussi incompréhensibles que les précédents. Ensuite, il versa de l’eau dans un verre et annonça la faire disparaitre. D’ailleurs, il but l’eau faisant rire le plateau.

-          Amstragram, tour Eiffel, disparait, cria-t-il en claquant les doigts.

Tout à coup les lumières s’éteignirent, Jana se retrouva seule au milieu d’un écran entièrement noir. Elle se frotta les yeux avant de les plisser et d’annoncer en gardant la bouche grande ouverte :

-          Incroyable ! Elle n’est plus là !

La caméra qui filmait la journaliste, avança pour montrer que la place était entièrement vide. Un couple d’anglais présents resta stupéfait de ne plus voir la tour de fer.

-          What’s happen ? demanda-le mari.

Jana expliqua brièvement que c’était pour un show TV. Le couple resta abasourdi n’arrêtant pas de prononcer des « My god… It’s crazy ! She is not here anymore!». Dès lors, le plateau TV se remplit d’applaudissements et de sifflets. Le jeune prodige remercia l’assistance, le public et principalement le pauvre cobaye qui restait gêné d’avoir été filmé en aboyant en marchant comme un chien. L’émission s’acheva sur les images filmées par un drone survolant les champs de Mars et une place sans tour Eiffel.

La soirée continua en privé, cependant, Rolland ressentit le besoin de rentrer à l’hôtel pour se reposer. Il justifia son départ en raison de la fatigue accumulée par la concentration. Un taxi déposa le magicien devant le hall. Il entra sous les applaudissements de quelques employés présents et qui purent admirer son œuvre. L’un d’eux le remercia d’avoir débarrassé Paris de cette tour nuisible. Il monta à l’étage et s’affala, encore habillé de sa queue de pie, sur le lit. Il s’endormit immédiatement.

Le service venait d’apporter son petit-déjeuner lorsque le téléphone sonna. Toutefois, il prit le temps de boire son café et de manger une tartine. Les yeux encore embrumés, il rejoignit un groupe de personnes sur les champs de Mars. Ils étaient tous excités et énervés mais aussi stupéfaits. Rolland soupira en réalisant qu’il avait simplement oublié de faire réapparaitre la tour Eiffel.

-          Où l’avez-vous mise ? demanda un journaliste tenant un micro.

Rolland se retrouva très vite agressé par des questions. Toutes les chaines étaient présentes, aussi bien françaises qu’européennes ou américaines. Le magicien leva les bras pour signaler qu’il avait besoin d’espace. Puis, une fois que le groupe de reporters recula, il releva la main gauche en positionnant la paume vers le ciel. Une étrange brume apparut soudainement du bitume. Elle  sentait une odeur écœurante de soufre et de lacrymogène. Plusieurs personnes fuirent la zone les yeux en larmes. Le brouillard s’épaissit énormément jusqu’à ce que Rolland claquât des doigts. A ce moment, le nuage se dispersa et laissa place à une tour Eiffel étincelante.

Il entendit les commentaires enthousiastes et impressionnés. Il apprécia surtout de voir ceux qui restaient la bouche ouverte, hypnotisé par l’apparition soudaine de la tour. Ensuite, constatant que les journalistes préférèrent filmer la dame de fer, il décida de visiter la ville.

Elle était dans sa chambre quand il rentra. Elle attendait patiemment sur le balcon tout en regardant la tour Eiffel qui brillait dans la nuit. Elle gardait encore son béret noir ; cela lui donnait un air plus parisien.

-          Tu as épaté tout le monde, affirma Jana.

Il ne répondit pas, préférant s’allonger sur le canapé de la suite. Il regarda la jeune journaliste qu’il avait rencontrée durant la préparation de l’émission. Elle tourna la tête pour mieux lui sourire. Elle espérait qu’il la rejoigne et qu’ensemble, ils regarderaient avec des yeux amoureux sa ville. Mais il avait d’autres projets. Aussi, il leva la main gauche, prononça deux mots d’assyrien, avant de claquer les doigts. La jupe noire, le chemisier blanc, les sous-vêtements de Jana disparurent en un clin d’œil.

Elle ne réalisa pas immédiatement qu’elle était toute nue. Elle continuait d’observer cet homme qui paraissait bien plus jeune. Elle se demandait comment elle était tombée amoureuse. Parce que ce n’était pas son type, parce qu’elle n’était pas du genre à entretenir une relation aussi vite. Puis, sentant la brise caresser sa peau, elle quitta le balcon pour rejoindre son amant. Elle s’assit sur ses cuisses, l’embrassa avant de le questionner.

-          Comment tu fais tes tours ?

-          Un magicien garde toujours ses secrets, chuchota-t-il avant de l’embrasser.

-          Sérieusement, mes habits ? Tu as fait comment ?

Il continuait d’embrasser sa peau ; le bout de sa langue dessinait un trait humide sur sa poitrine gonflée. Elle se laissa submerger par le désir. Son ventre brulait. Alors, elle se laissa emporter par la passion, telle une tornade qui balayait tout sur son passage. Mais auparavant, elle eut juste le temps d’apercevoir ses vêtements trainer sur le sol. Son chemisier, trop léger, venait de s’envoler.

La tour Eiffel illuminait toujours le ciel de Paris lorsqu’elle se leva. Il resta allongé. Il la regarda récupérer ses fringues. Ensuite, Rolland admira ses formes qu’elle commença à cacher en se rhabillant. Elle remplaça son haut par une chemise blanche de magicien. Trop grande mais suffisante pour traverser décemment la capitale.

-          J’aimerais bien connaitre ton secret. Ça m’aiderait à m’habiller vite, marmonna-t-elle.

Il se mit à rire et releva le buste.

-          Sérieusement, tu veux vraiment connaitre mon secret pour faire comme moi?

Jana ne répondit pas. Elle finit de remettre son bas et attendit que Rolland ne parle. Dès lors, il quitta le canapé défait et se dirigea vers le mur où un coffre-fort était caché. Il actionna le code, ouvrit la porte puis sortit une pochette qu’il posa délicatement sur un bureau.

Jana approcha doucement sur la pointe des pieds. Elle ouvrit le dossier et put lire du latin sur la première page. Elle reconnut aussi, des mots de grec ancien et, d’autres dont le sens rappelait l’hébreu et l’arabe. Rolland lui présenta un canif. Elle survola les autres pages et lut la dernière, sur laquelle son nom était écrit en bas. Elle se mit à rire à ces conneries et joua le jeu en signant avec un stylo posé à côté du dossier.

Aussitôt, il attrapa le poignet de Jana, fit une petite incision avec le couteau et laissa couler un de sang sur la signature qui, absorba le liquide d’une façon magique. Jana sentit un malaise lorsqu’une nouvelle signature apparut à côté de la sienne. Elle comprit qu’elle venait de vendre son âme pour un peu de magie.                          

Alex@r60 – juillet 2022

Publicité
Publicité
9 juin 2022

Transylvanie express (28)

tumblr_na7qwmd50h1relrdqo1_640

Le paysage aurait certainement été magnifique s’il n’y avait pas eu de brouillard impénétrable. Nous ne vîmes presque rien de ce qui longeait la route en dehors de branches trop longues, de troncs noirs ou de buissons feuillus. Cependant, je ne m’interrogeai pas sur la façon qu’avait le conducteur à trouver la bonne voie. Les chevaux étaient surement habitués. Ils ne hennissaient pas, continuant de trotter au rythme imposé par leur maitre. Le froid imprégna de plus en plus la diligence, surtout depuis la présence de Ludmilla. Elle s’était blottie contre moi ; je pouvais sentir son corps encore gelé, transi par l’angoisse, la faim et la fatigue. Son cœur battait si fort qu’il vibrait jusque dans mes propres veines. Un chignon mal coiffé empêchait ses cheveux longs de tomber. Elle respirait fortement tel un animal meurtri. Puis, petit à petit, son souffle retrouva une cadence plus calme. Johann avait sorti un panier qui devait nous servir, au cas nous n’arrivions pas à temps, à la première escale. Elle dévora une cuisse de poulet, tout en buvant goulument la moitié d’une outre d’eau. Après cela, elle s’endormit, la tête toujours posée sur mes genoux. Son cœur continuait de vibrer dans mes veines. Et son parfum de vanille et de fleur d’oranger m’enivrait

Par respect, l’étudiant ne parla pas, ni ne s’indigna quant à sa présence. Par contre, je perçus dans son regard une méfiance envers la jeune femme. Il y avait même un peu de colère et de mépris pour ce qu’il jugeait être une criminelle. Ludmilla dormit une bonne heure malgré le chaos de la carriole sur une route peu entretenue. Elle se réveilla brutalement comme sortie d’un cauchemar. Elle dévisagea d’abord Johann Textor avant de soupirer en réalisant qu’elle était en sécurité. Elle attrapa la gourde de cuir et but une gorgée. Je souris en découvrant ses lèvres mouillées. Elle essuya un filet d’eau qui glissa sur son menton.

-          Comment as-tu quitté Bucarest et arrivé jusqu’ici ? demandai-je.

Ses yeux s’écarquillèrent comme si j’avais touché une corde sensible. Elle hésita à répondre. Puis, elle rebut un peu d’eau avant de pincer ses lèvres. Elle chercha à s’assoir plus confortablement en raison des secousses. Elle  nous regarda ensuite, prête à réciter une histoire à des enfants en quête de sensation au coin d’un feu.

-          J’ai longtemps marché dans les rues toute la nuit. Au matin je me suis endormie dans une grange et j’ai cherché la route de Brasov. Je savais que tu y passerais et je… j’espérai que tu m’accepterais de nouveau.

-          Pourquoi n’es-tu pas allé à mon hôtel, avant ?

-          Je ne voulais pas te mêler à mon histoire.

-          Pourtant c’est ce que vous venez de faire, réagit Johann.

Il sentit la gêne de nos regards furieux. Dès lors, il baissa la tête marmonnant un « pardon » avant d’orienter son intérêt sur la fenêtre. Ludmilla répondit à sa réplique.

-          Je ne voulais pas que tu finisses en prison par ma faute. Comprends-tu ?

-          Tu l’as donc tué ? murmurai-je

Elle regarda le plancher de la diligence. Ses chaussures de mode étaient abîmées par la marche forcée. Elle prit son mouchoir et essaya de retirer une maximum de boue.

-          Je ne sais pas, répondit-elle.

Le jeune historien remua la tête. Il cherchait à se faire oublier, à se faire tout petit. Et bien qu’il regardât toujours dehors, je savais qu’il écoutait.

-          Je ne sais pas, répéta-Ludmilla. Nous nous sommes disputés. Je lui ai dit…(Elle arrêta subitement sa phrase). Il m’a dit qu’il voulait me vendre, partir en Angleterre pour me vendre.

-          On vend encore les femmes en Angleterre ? s’interposa Yohann.

Il remarqua mon incompréhension. Aussi, il raconta une histoire anglaise que je ne connaissais pas.

-          C’est une coutume ancienne qui date du XVIIe siècle, je crois. Comme le divorce était extrêmement cher, un homme pouvait vendre leur femme au marché. Il l’enchainait avec un collier ou un bracelet et l’enchère pouvait commencer. La femme était vendue au plus offrant. Parfois, elle était vendue avec les enfants. Mais je ne savais pas que cela se faisait toujours.

-          C’est horrible dis-je en regardant Ludmilla pour lui demander de reprendre.

-          Il s’est approché de moi avec un couteau parce qu’il voulait me défigurer avant de me vendre. Je savais que j’allais finir dans un taudis de Londres. J’ai reculé, je me suis évanouie et à mon réveil, il était allongé au milieu de son sang, le couteau à côté de lui et sa gorge était déchirée. Il y avait du sang partout. Même sur mes mains et ma bouche…J’avais le gout du sang dans la bouche !

Le jeune Textor me regarda enlacer mon amie en plein sanglot. J’essayai de la rassurer, que tout était fini et qu’ensemble nous irions vivre à Paris. Puis, comme un idiot, je sortis une vanne stupide sur le fait qu’il n’y avait pas de marché aux femmes dans le coin.

-          En réalité, le marché aux femmes existe aussi en Transylvanie. Mais la pratique n’est pas la même. Les jeunes femmes viennent d’elle-même se vendre par peur de ne pas avoir de mari.

Johann Textor n’ajouta rien de plus en réalisant que son explication était déplacée. Il regarda encore par la fenêtre du carrosse. Nous passions dans une clairière où le brouillard semblait avoir disparu. Il se pencha tout-à-coup et eut un léger sourire.

-          Si je puis me permettre, nous logeons l’ancienne voie ferrée.

-          Pourquoi n’avons-nous pas pris le train, s’il passe par ici ? questionnai-je un peu surpris.

-          Il passait. La ligne est abandonnée depuis longtemps. C’était l’express du Transylvanie qui reliait Budapest à Bucarest. Mais elle a été fermée pour diverses raisons…politiques, commerciales et j’en passe… Je crois aussi qu’elle était chère à entretenir.

En effet, les planches reliant les rails n’avaient pas été nettoyées depuis longtemps. La moisissure, la mousse les rongeaient doucement. De même, les rails n’auraient pas supportées le passage d’un train tellement ils étaient en mauvais état. Un arbre avait même poussé au milieu du chemin.

-          Il s’appelait l’express de Transylvanie ? demanda Ludmilla. Je crois l’avoir pris quand j’étais enfant.

Nous longeâmes la voie pendant plusieurs centaines de mètres, avant qu’elle ne bifurque à gauche pour s’éloigner, au plus profond de la forêt et du brouillard. Les restes de murs indiquèrent l’ancienne présence d’une gare. Comme Ludmilla commençait à s’allonger, je me levai pour lui laisser la banquette. Johann me laissa de la place sur la sienne.

Nous restâmes silencieux à écouter les sabots des chevaux cognant la terre, les remous de la diligence, tout en admirant Ludmilla qui dormait comme un ange. A cause du froid, je la recouvris d’une couverture à carreaux. En approchant, j’humectai son délicieux parfum de vanille et de fleur d’oranger. Puis, je me rassis à côté du jeune élève en histoire. Au bout d’une petit heure, je fermai les paupières et m’endormis au rythme de la diligence. Il me rappelait celui de l’Orient express. D’ailleurs, dans mon rêve, j’entendais au loin l’express de Transylvanie : Tougoudoum, tougoudoum, tougoudoum…

Alex@r60 – juin 2022

5 juin 2022

Transylvanie express (27)

tumblr_n8amm4Dygv1relrdqo1_500

Dans la diligence, Johann Textor observait par la fenêtre, un paysage pratiquement désolé. Il avait évoqué un incendie ravageant la campagne quelques mois auparavant. Et, même si je ne portais pas attention, le peu visible à travers l’épaisse brume, était noir, désolé ou calciné. Johann était un jeune étudiant typique. Il passait son temps dans les livres à étudier et à s’instruire. Il voulait se spécialiser dans l’histoire de la Transylvanie, en particulier la période médiévale. Il parlait communément l’allemand, le danois, un peu de roumain, de polonais et de hongrois, ainsi que du français sans oublier le latin. D’ailleurs, le matin de notre départ, je l’ai surpris à prier en latin.

De temps en temps, je le regardai sans chercher à croiser nos regards. Je ne cherchai pas à discuter. Je l’imaginai dans un costume militaire car je lui trouvai un côté officier sorti majeur de sa promotion. Il y avait dans son visage de blondinet, une certaine fierté élégante. Un peu trop, me dis-je ! Surtout au moment de l’imaginer dans un uniforme nazi. Il lui allait trop bien ! Peut-être la raison pour laquelle, parfois, il me fut antipathique.

Lorsque je détournais les yeux vers l’extérieur, il se figeait au point de se transformer en pantin. Il devenait ainsi une de ces statues de cire qui bougeait uniquement les yeux, les tournant dans tous les sens. Parfois son ventre remuait. Je n’étais jamais affolé dès qu’un tentacule surgit de son veston. Il demeurait ainsi jusqu’à ce que je le dévisageasse. Dès lors, il reprenait une forme humaine, remuant les bras ou les jambes, tournant la tête en bon curieux qu’il était.

Les secousses ne m’empêchèrent pas de somnoler. J’étais encore convalescent, fatigué par cette maladie soudaine. Par moments, la tête me tournait avec l’envie de vomir. Mais, je n’avais qu’à faire un geste de la main et le cocher ralentissait son attelage. Le vertige durait généralement environ cinq minutes, puis nous repartions dans un rythme plus rapide.

En fait, je ne dormais pas, me limitant à fermer les paupières. Ce n’était pas à cause de la rudesse de la diligence ni au froid qui envahit notre espace en raison du manque de carreau aux fenêtres. Je repensai juste à ces derniers instants dans l’hôtel ; ces dernières heures intrigantes.

Peu après la visite du médecin qui assura que je pouvais voyager, deux hommes en costume noir entrèrent dans la chambre. L’un deux retira son petit chapeau melon tandis que l’autre brandit un écusson sur lequel était écrit : Politie…Police en roumain. Ils ne m’interrogèrent pas sur ma maladie, préférant un autre sujet. Pendant toute la discussion, je les comparaissais aux Dupont et Dupond de Tintin, avec des moustaches plus épaisses, plus Syldave. Comme ils ne parlaient pas français ni moi le roumain, Johann accepta de jouer les traducteurs.

-          Connaissez-vous Drahomir Jezikov ?

Je mis un certain temps avant de répondre en hochant de la tête. Les policiers se regardèrent en remarquant mon froncement de sourcils.

-          Nous avons trouvé ceci dans sa chambre.

Pendant que Textor parlait, le chef tendit un morceau de papier que je pris. Il était écrit au stylo le nom de l’hôtel ainsi que le numéro de ma chambre. Je rendis le papier

-          Est-il venu vous rendre visite dernièrement ?

-          Oui, peu avant de tomber malade, répondis-je.

Ils se regardèrent de nouveau, rassurés de m’entendre dire la vérité.

-          Nous savons qu’il est reparti avec une femme. (Johann marqua un arrêt) sa femme.

-          C’est exact. Elle l’avait quitté à Vienne et préféra continuer jusqu’à votre ville. Nous avons sympathisé.

J’avais compris que je ne devais pas dévoiler notre relation. Toutefois, l’étudiant parut dubitatif. Il plissa les yeux, son sourire disparut. Puis, il se concentra sur les questions des policiers.

-          L’avez-vous revue depuis son départ ?

-          - Non ! Je suis tombé malade le soir même et je n’ai pas quitté la chambre depuis.

La traduction de Johann parut plus longue. En effet, il confirma ma réponse en expliquant avoir été à mon chevet. L’un des policiers dodelina de la tête pour approuver son témoignage. Cependant, leur présence m’inquiéta pour Ludmilla.

-          Pourquoi toutes ces questions ?

Ils se regardèrent avant de répondre. Puis ce fut le tour de Johann de laisser passer un silence avant de traduire.

-          La jeune femme en question est recherchée. Elle est suspectée de meurtre. Elle aurait tué son mari.

Nous nous dévisagèrent mutuellement. Johann posa quelques questions, celle qu’il pouvait lire dans mes yeux. Puis, il traduisit ce que les commissaires voulaient bien répondre.

-          Il a été retrouvé mort dans la chambre d’un autre hôtel, le lendemain après être venu récupérer son épouse…Il baignait dans son sang…Ses employés ont immédiatement quitté Bucarest sans prévenir les autorités…Et le seul indice était ce message sur la table ainsi que des télégrammes envoyés à Ludmilla Jezikova, son épouse… Elle aussi a disparu...Elle est dangereuse.

Je frémis en entendant cette dernière phrase : « Elle est dangereuse ! ». D’ailleurs, au moment d’y repenser, je frémis encore au point d’ouvrir les yeux. Sentant le froid, je me blottis dans mon manteau. Johann continuait d’admirer le paysage funeste que nous traversions. Il n’y avait que des arbres calcinés, cadavres de bois, restes lugubres de ce qui fut une magnifique forêt de hêtres et de sapins.

Tout-à-coup, les chevaux hennirent, la calèche s’arrêta ! Johann demanda la raison de cet arrêt inattendu. Le cochet grommela quelques mots de hongrois. Deux mots qui suffirent à faire sursauter l’historien :

-          vámpír előtt !

Il passa la tête par la fenêtre pour mieux voir malgré le brouillard. Puis, il descendit du carrosse. Je le suivis. Au loin, une silhouette habillée d’un long manteau avançait lentement. Elle sortait d’entre les arbres morts. Elle rappelait cette ombre que je vis de ma cabine de train, ou ce démon qui me suivait dès que je me promenais dans Bucarest. Elle avait la même démarche fatiguée, que ce monstre qui chercha à m’attraper dans le couloir du train. Elle dodelinait de la tête qu’elle cachait avec une capuche.

Le jeune homme blond hésita à retourner dans la diligence et à ordonner qu’on fasse demi-tour. Toutefois, il savait que le vampire était trop loin de nous. De plus, nous étions en plein jour et même s’il était superstitieux, les vampires ne sortent que la nuit.

La silhouette avança encore puis s’arrêta soudainement. Son corps tanguait au gré du vent La capuche se reversa. De longs cheveux bruns apparurent, je n’osai y croire. Dès lors, je courus vers elle pour en être certain. Derrière moi, Johann cria, me rappela mais voyant que j’étais décidé, il remonta dans le carrosse et ordonna au conducteur de me rattraper. La roue faillit éclabousser de boue mes vêtements.

-          Arrêtez-vous, je vous prie ! cria le jeune étudiant.

-          Mais c’est elle ! répondis- je.

Il passa la tête et pus découvrir une jeune femme à quelques mètres de nous. Son visage fatigué, ses yeux cernés, sa robe et son manteau crasseux, ses chaussures crottées indiquèrent qu’elle avait vécu les derniers jours en enfer. Elle posa ses mains sur son ventre affamé et s’agenouilla au milieu de la route. Dès lors, je me précipitai pour l’empêcher de s’écrouler. Johann nous regarda nous enlacer. Il était perplexe quant à nos retrouvailles. Il se demanda ce que nous devions faire d’elle. Retourner à Bucarest et la remettre à la justice ? Mais lorsqu’il vit notre baiser, il comprit qu’elle continuera l’aventure avec nous.

Ludmilla, ma Ludmilla était de retour !

Alex@r60 – juin 2022

5 juin 2022

Transylvanie express (26)

tumblr_mqeznf196D1qhelpdo1_500

Le hall du palace était rempli de monde. Les clients discutaient en formant différents groupes. Certains étaient assis dans le grand salon, attendant d’être servis par un domestique qui n’arrivaient pas. Ils parlaient créant un énorme brouhaha. Pourtant, aucun ne bougeait. Ils ne remuaient même pas les lèvres. Seuls leurs yeux me suivaient du regard. Je marchai, complètement trempé, au milieu de ces mini-attroupements de pantins. Je cherchai à rentrer au plus vite. J’allai grimper les escaliers lorsque le concierge du moment m’interpela. Dès lors je le rejoignis en passant près d’une banquette sur laquelle un homme à la peau cirée était assis. Il ne leva pas la tête, gardant les bras le long de son corps. Toutefois, son veston remua, laissant penser qu’il protégeait un petit animal.

- Votre diligence est arrivée, annonça le domestique. Elle sera prête à partir demain matin.

- Très bien, répondis-je.

- Vous allez bien ?

Il était le seul à ne pas ressembler à une statue de cire. Il m’observa vivement, inquiet par la pâleur de mon visage. En fait, je me sentais fatigué. J’avais chaud et voulais me changer pour me reposer. Le ventre du client assis remua de plus en plus. L’animal domestique sembla long et rond. Je répondis au domestique par un sourire et un hochement de tête.

- Madame Jezikova est partie, il y a une petite demi-heure avec ses bagages, ajouta-t-il.

Mes tripes répondirent silencieusement ; Comme si un couteau venait de les transpercer. Cependant, je n’étais pas surpris. C’était mieux ainsi.

En passant devant l’homme assis dans le canapé, je remarquai son ventre gigoter. Quelque-chose sorti doucement de sa chemise. Cela avait la forme d’un tentacule. Le brouhaha continua mêlant paroles et rires. Mais en observant le hall, j’avais la sensation d’entendre un enregistrement au milieu d’un tableau composé de poupées.

Je ne rencontrai personne dans les couloirs. Aussi, avant d’atteindre la porte de ma chambre, je m’inquiétai de ce qui pouvait arriver. Était-elle réellement déserte ? Les hommes de main de son mari, sont-ils aussi partis ? Avait-elle laissé un mot ? Je marchai, divaguant et sentis la fièvre envahir mon esprit. J’avais de plus en plus chaud. Par ailleurs, ma vision devint floue.

Afin de ne pas tomber, j’atteignis la porte en me retenant aux murs. Je pris la clé et l’enfonça dans la serrure. A ce moment, j’inspirai un grand coup avant d’ouvrir la porte lentement. Elle ne grinça pas et laissa apparaitre une pièce entièrement propre et silencieuse. Il n’y avait plus de trace de cette scène de baise entre Ludmilla et les quatre hommes. Il n’y avait plus rien si ce n’est les meubles, ma valise près du bureau ainsi qu’une veste posée sur dossier d’une chaise. C’était une veste de Ludmilla. En entrant, je reconnus le parfum de vanille et de fleur d’oranger que laissait la jeune femme sur son passage.

Je retirai mes fringues encore trempées avant de m’essuyer avec une serviette. Puis, les poumons pressés par l’épuisement, les yeux fatigués par la fièvre, la sueur commença à perler sur mon visage. Alors, je m’allongeai sur le lit et m’endormis immédiatement. J’avais besoin de faire un somme réparateur qui se transforma en un rêve étrange.

J’étais étendu sur le dos. Je pouvais distinguer la chambre qui n’était plus la même. Elle était blanche. Une femme entra et resta quelques instants près de moi. Je reconnus le visage de Ludmilla. Elle ouvrit les lèvres offrant un joli sourire. Elle dit quelques mots indistinguables avant de ressortir et me laisser seul. Puis je me levai. Il n’y avait que mon lit dans la pièce sans fenêtre. Toutefois, une lumière éclairait la chambre comme au grand jour. Je marchai pieds nus, je me dirigeai vers la sortie. La porte s’ouvrit puis je me retrouvai en pleine forêt. Devant moi, de vieux rails marquaient une route. Alors, curieux, sans peur, je suivis la voie ferrée. Je marchai sans avoir mal aux pieds, malgré les cailloux, les ronces ou les lame de bois pourri clouées aux rails. Plus, je m’enfonçai dans la forêt, plus la nuit commença à apparaitre. Je marchai dans un silence total avant d’arriver à un immense château aux murs infranchissables et aux toits noirs. Un croassement me réveilla.

Le corbeau vivait seulement dans mon songe. J’étais de nouveau dans ma suite. Il faisait déjà nuit et j’étais encore fatigué. Bien que je fusse nu, les draps collaient à ma peau à cause de la sueur. Mais qui m’avait mis sous les draps ? Je ne me souvenais pas l’avoir fait. Le parquet vibra soudainement. Trop fatigué, je ne bougeai pas. Quelqu’un s’approcha du lit, je distinguai vaguement une silhouette dans l’obscurité. Une odeur de vanille et de fleur d’oranger rassura mon esprit. Dès lors, je fermai les paupière et essayai de me rendormir. J’avais froid mais j’étais en sueur.

Soudain, les couvertures se levèrent ; le matelas s’enfonça. J’étais pris de vertige tellement les murs bougeaient. Je me sentis partir, m’envoler hors de mon corps mais j’étais encore endormi, prisonnier du lit. Tout autours parut remuer : les meubles, l’armoire, la fenêtre, la chaise sur laquelle mes habits reposaient… Je ressentis le besoin de vomir, mais rien ne voulait sortir. Je frémis lorsqu’une main froide caressa ma joue chaude. Il y avait quelqu’un à côté de moi, mais je ne pouvais pas bouger. Alors, du coin de l’œil, j’essayai de reconnaitre cette personne. Elle n’était qu’une ombre dans le noir. Elle sentait bon la vanille et la fleur d’oranger. J’entendis un long « chut ». Dès lors, je me rendormis de nouveau.

C’était le même rêve. Celui de Ludmilla habillée de blanc qui traversait une chambre aux murs blanc. J’étais encore allongé sur le lit, attendant qu’elle approche. Je ne pouvais faire que ça, car je me sentais paralysé. J’écoutais ses pas résonner dans la salle. Elle posa quelque-chose près de mon bras, prononça quelques mots rassurant puis elle repartit en disant : « A tout à l’heure ». A ce moment, je me levai et me dirigeai hors de la pièce pour la rejoindre. Seulement, en ouvrant la porte, j’entrai dans une forêt où des rails à moitié usés par le temps m’invitaient à prendre le seul et l’unique chemin. Habillé en sous-vêtements, je traversai la forêt encore plus sinistre que la première fois. Je me doutai de ce que je verrai au bout du chemin, et j’avais raison : le château aux murs immenses s’imposa devant moi brusquement, comme s’il venait de surgir des profondeurs de la terre. Cette fois-ci, le corbeau s’envola du sommet d’un toit noir avant de lancer un long et terrible croassement.

J’étais toujours en sueur, sous les draps lorsque j’ouvris les yeux. Sa voix mélodieuse apaisa mon angoisse soudaine. Elle posa une main sur mon front, je compris qu’elle était aussi allongée. Elle dormait à ma gauche. Cependant, l’obscurité de la nuit m’empêchait de la voir. Et sans ce parfum de vanille et de fleur d’oranger, je n’aurais jamais su que c’était Ludmilla.

- Tu es revenue ? demandai-je.

- Je ne suis jamais partie, répondit-elle.

Sa voix était douce et calme. Si calme qu’elle me rassurât. Je fermai les paupières, la sueur coulait toujours sur mon corps, les draps se collaient à ma peau trempée. Sa main glacée caressa une seconde fois mon front bouillant. Elle me faisait du bien. Je me rendormis.

Lorsque le jour apparut, un jeune homme assis à côté du lit m’effraya. Confus, il se leva immédiatement avant de se présenter. Il avait un léger accent allemand. Johann Textor était l’élève de Klaus Möller, l’historien que je devais rencontrer à Brasov.

- Vous êtes arrivé avec la diligence d’hier soir ? questionnai-je.

- Heu… Non… je suis arrivé, il y a quatre jours, répondit-il.

- Pourquoi n’êtes-vous pas venu avant ? intervins-je un peu étonné.

Il me dévisagea de ses yeux gris. Il semblait désorienté ou timide en découvrant que j’étais entièrement dévêtu. Il tourna la tête pendant que je me couvrais d’une robe de chambre appartenant à l’hôtel.

- C’est que vous étiez malade, dit-il.

- Je ne l’ai été que cette nuit.

Il garda le silence attendant d’être sûr que je sois rétabli. Puis il inspira une grande bouffée d’air.

- Cela fait cinq jours qu’on vous a trouvé délirant dans cette chambre. Vous êtes resté couché depuis ce temps.

Alex@r60 – mai 2022

24 mai 2022

Transylvanie express (25)

tumblr_1ad214c46752feff5e671474a95d930a_ce81dc9c_500

Je marchai sans savoir où j’allai. Je fonçai à toute vitesse, perdu dans mes pensées. Parfois, son ombre apparaissait sur un mur. Elle était dans cette position infâme, une silhouette d’homme derrière elle, profitait de son fondement, tout en tirant ses longs cheveux. Je crus les entendre râler.

Je n’arrivai pas à croire ce qui se passait. Je marchai toujours, trempé par la pluie. Et plus je m’éloignais, plus je comprenais avoir été dupé. Notre rencontre n’était pas fortuite, bien au contraire. J’avais été repéré et pour le plaisir de son époux, elle s’était approchée de moi afin de devenir ma maitresse. Je lui en voulais.

La rue se gorgea d’eau que le peu de trottoir arrivait difficilement à évacuer. Les chaussures trempées tout comme mes vêtements, je marchai sur les pavés glissants sans me soucier de tomber. A la longue, je pouvais sentir le poids des gouttes. Pendant ce temps, quelques calèches roulaient en provoquant parfois quelques vagues avec les eaux stagnantes dans les creux de la route. La pluie tomba encore plus crument, amenant avec elle le début de la nuit.

Je voulais aller à la gare, mais je savais que j’étais totalement à l’opposé. Je voulais quitter cette ville, quitter ce monde qui n’était pas le mien. Avec Ludmilla, je pensais avoir trouvé cette raison de ma présence ici, mais sa soumission envers son mari et maitre, son calme à accepter d’être baisée vulgairement par des inconnus, me ramenèrent encore à cette conclusion malgré sa fugue : je n’étais qu’un pantin, un jouet… un amusement. Demain, elle sera plus là !

Quand on ne connait pas une ville, les rues se ressemblent toutes. Je marchai encore sans rencontrer de gens. Ils n’étaient pas fous ni tristes, ils n’avaient aucune raison de sortir dehors avec ce temps. La pluie continua à tomber lorsqu’un éclair déchira le ciel, faisant apparaitre les ombres de Ludmilla et de ses amants du moment sur la façade d’un bâtiment. Mon cœur se déchira à son tour, maintenant cette douloureuse réalité. Soudain, le tonnerre gronda mettant fin à la scène.

Dès lors, j’accélérai le pas, submergé entre la tristesse et la colère. Mon manteau ressemblait à une éponge. Il devenait de plus en plus lourd. Cependant, je ne m’en souciais pas, continuant à divaguer à travers les ruelles de plus en plus sombres. J’attendis, j’espérai rencontrer un brigand, un tueur tapi dans l’ombre. Je voulais me défouler contre le premier venu…me battre et mourir.

Les éclairs se succédèrent suivis par les grondements de l’orage. Chaque goutte claquait le sol au point de fissurer les pavés ou de creuser leurs jointures. Je ne sentais rien tellement la douleur intérieure demeurait atroce. Une diligence passa à côté de moi. Les deux chevaux hennirent. Un nuage sorti de leurs naseaux. Ils trottaient à la cadence imposée par le conducteur caché dans ses habits noirs. Le carrosse sembla si long que je crus ne pas en voir la fin. Des rideaux noirs accrochées aux fenêtres, empêchèrent de voir l’intérieur. La roue arrière gauche me frôla et je m’arrêtai pour le regarder s’éloigner avant de reprendre ma marche vers l’inconnu.

Mais elle était là au bout de la route ! Elle apparut dans un éclair. Son ombre n’était pas le sien mais celui de Ludmilla à quatre pattes, chevauchée, les cheveux tirés. Elle était là, habillée de son manteau noir dont la capuche recouvrait le visage. Dès lors, je sentis l’angoisse m’envahir. Je voulais mourir mais elle était là pour me rappeler que la mort n’est pas une fin en soi. Elle demeurait immobile dans le noir au bout de la rue. Le ciel parlait pour elle et pour moi. Il hurlait de plus en plus après chaque trait lumineux qui éclairait la chimère. J’opérai un demi-tour, je préférai retourner dans cet hôtel maudit plutôt que de la revoir et sentir ses crocs s’enfoncer dans ma gorge. Elle ne bougea pas, m’observant du trou noir qui sortait de la capuche. Je tournai la tête une ou deux fois pour vérifier qu’elle restait à sa place. Mais je ne la vis plus. Elle était comme avalée par l’obscurité de la nuit.

Le ciel continuait à rager, amplifiant les trombes d’eau. Les gouttes de plus en plus grosses, rebondissaient dans la ruelle et les toits. Je marchai en sentant le tissu de mon pantalon devenir de plus en plus lourd. Soudain, un nouvel éclair fit sursauter mon esprit. Elle était de l’autre côté de la rue. Le vampire conservait la même position dans son large manteau noir. La tête presque baissée recouverte d’une capuche. Persuadé qu’elle allait bondir et me sauter dessus, je me mis à courir. Je voulais mourir mais pas comme ça ! Pas dévoré par ce monstre !

Depuis le début, elle me pourchassait. Dans le train, à Venise et à ce moment, elle m’avait suivi à Bucarest. Le temps de regarder vers elle, elle avait disparu ! Je continuai de courir sans me soucier de la direction. La pluie tombait encore, l’orage éclata tout à coup en déchirant d’un éclair le ciel. Le fracas de son déchirement résonna comme si la terre venait de s’ouvrir. Je m’arrêtai brusquement en apercevant l’ombre de Ludmilla sur la façade d’un immeuble. Une voix murmura à mon oreille : « Est-ce que tu me trouves belle ? »

Je me retournai, persuadé qu’elle était dans mon dos. J’avais senti son souffle, ce n’était qu’un léger coup de vent. La pluie se transformait presqu’en déluge. La rue se remplissait d’eau. Malgré les chaussures, mes pieds baignaient dans une eau glacée. Je courus de nouveau, supportant difficilement la charge pesante de mes vêtements transformés en éponge. Je courus lorsqu’un éclair alluma le ciel et me permis d’apercevoir son corps dressé quelques mètres devant moi. L’averse rebondissait sur son manteau. Elle ne bougeait toujours pas telle une statue. J’essayai de trouver une issue en m’engouffrant dans une ruelle. Seulement, c’était une impasse, je me retrouvai face à un mur ! Une porte fermée sur la droite. Et cette voix qui transperça la pluie en surgissant comme l’éclair : « Est-ce que tu me trouves belle ? ».

Mon cœur se figea en la découvrant derrière moi. Elle était à quelques décimètres, cachée par la capuche de sa gabardine. J’étais coincé ! Du coin de l’œil, j’observai la porte, espérant qu’elle ne fût fermée à clé. Je pris mon souffle. Elle approcha lentement. Les grognements de l’orage n’empêchèrent pas d’entendre sa douce voix. Cependant, je n’étais pas certain qu’elle eut ouvert la bouche.

- Est-ce que tu me trouves belle ?

Je reculai jusqu’à coller le dos au mur. Je préférai faire face et me préparai à me défendre contre cette chose inhumaine. Des gouttes glissèrent le long de mon visage. Je me sentis fatigué par la lourdeur de mes fringues et le froid de la pluie. Elle approcha et s’arrêta soudainement. Je la surveillai du regard, serrant le poing. Mes poumons se remplirent de peur, mes jambes tremblèrent. Je ne me sentais pas crever dans ce cul-de-sac insalubre.

Après quelques secondes, elle leva la tête. Alors, ma peur se transforma en stupéfaction. Le visage de Ludmilla apparut dans un halo de lumière au milieu de la capuche. Je vis ses yeux marrons, son nez fin, ses lèvres rouges et pulpeuses. Son regard calma mon esprit. Pourtant, j’étais toujours paralysé. Elle approcha d’un pas. Son souffle froid caressa mon cou, remontant doucement ma joue jusqu’à l’oreille.

- Et maintenant, me trouves-tu toujours belle ? susurra-t-elle.

Je fermai les yeux, ne sachant quoi répondre. Je voulais dire oui, je voulais dire non. Je ne savais pas quoi dire. Je voulais pleurer, je voulais crier, je voulais l’embrasser. Je ne savais pas quoi faire. J’attendais avec fatalité qu’elle enfonça ses crocs pour arracher ma gorge. J’attendais sentir mon sang jaillir, me quitter et l’entendre se délecter de ce jus chaud. Mais au moment d’ouvrir les paupières, une forme vaporeuse l’avait remplacée et s’éloignait pendant que la pluie cessait.

Le brouillard reprit possession de la ville. Je marchai à travers les flaques tout en reprenant mes esprits. Un homme debout devant la gare, fit comprendre qu’elle était fermée. Aussi, il ne me restait plus que de retourner à l’hôtel. J’étais trempé, j’avais froid et je commençai à me sentir malade.

Alex@r60 – mai 2022

 

Publicité
Publicité
24 mai 2022

Transylvanie express (24)

tumblr_365f50aacf6cf7c8cba5b722059a55d2_4e0379fb_2048

Bien que je restasse immobile, mon amie recula d’un pas. Sa respiration résonna pendant que les hommes de mains de son époux nous encerclèrent. Ce dernier avança lentement. La canne frappait le sol en même temps que la semelle gauche de sa chaussure. Ses traits vieillissants et ridés, son dos vouté, sa démarche indiquèrent qu’il pouvait être le grand-père de Ludmilla. Toutefois, son regard n’avait rien de celui d’une personne fatiguée. D’ailleurs, il me détailla de haut en bas, affichant son mépris.

Nous étions coincés dans la suite. J’observai rapidement les molosses aux bras démesurés, boxeurs ou dockers, la mine patibulaire ; je n’avais aucune chance s’il décidait de les lâcher contre moi. Cependant, pour marquer le coup, je serrai la main de mon amie et restai devant lui tel le dernier rempart d’une ville assiégée. Il émit un long sourire accompagné d’un souffle railleur.

- Même si je le connais, peux-tu nous présenter ma chérie ? dit-il.

- Je…c’est…Yannick, voici Drahomir, bégaya la jeune femme.

- Et je viens récupérer ce qui m’appartient, ajouta-t-il.

Son manteau ressemblait énormément aux vestes à queue de pie sans la queue. Il avança toujours lentement, puis il leva la canne afin de m’écarter hors de son chemin. Je lâchai la main de ma compagne temporaire et dus le laisser s’approcher d’elle. Elle ferma les yeux, baissa la tête et à l’image des enfants turbulents, elle attendit d’être punie. Mais, le vieil homme se contenta de poser une main ridée sur la joue de son épouse. Elle frémit au contact de cette caresse qui descendit jusqu’au cou. Dès lors, la main entoura sa gorge.

- Tu sais que je pourrais te tuer pour avoir quitté ton mari ? murmura-t-il entre ses dents.

Elle ne répondit pas. Elle laissa la main de Drahomir enserrer son cou tout relevant la tête. Aussi, j’intervins en essayant de m’interposer. Mais le garde du corps le plus proche me repoussa.

- De quel droit ? Criai-je. Qui êtes vous pour entrer dans ma chambre avec vos sbires ?

- Le droit qu’a un homme sur sa femme, réagit-il de suite. Vous ne connaissez pas les lois apparemment. Sachez, jeune homme, que l’homme attend obéissance de son épouse, et je tiens à ce qu’elle s’en souvienne.

Ludmilla écarquilla les yeux. Elle chercha à reculer mais la main de son mari l’empêcha. Elle croisa le regard haineux du vieillard. Son sourire narquois annonça une suite peu agréable. Pendant ce temps, le garde du corps continuait de me faire face.

- Déshabille-toi ! ordonna Drahomir calmement.

Elle ne réagit pas immédiatement. Elle continua de défier son époux du regard. Il avait la patience et répondit à cet échange en fronçant les sourcils. Le malaise marqua la chambre par un silence pesant. Le vent cogna la porte-fenêtre et des gouttes de pluie tombèrent sur le petit balcon. Puis, comprenant qu’il n’y avait pas d’autres possibilités, Ludmilla déboutonna sa robe. L’étoffe glissa le long de son corset. Elle serra les bras le long de son ventre, et attendit que son époux, passé derrière elle, défasse le lacet. Alors, en tombant, la gaine laissa apparaitre sa poitrine blanche et bombée. Elle se pencha pour baisser une longue culotte qui descendait jusqu’aux mollets. Elle ne portait plus qu’une paire de bas lorsqu’elle remarqua les regards vicieux des quatre malabars.

- Vous êtes un monstre, dis-je.

Il éclata de rire avant de me dévisager en présentant un large sourire.

- Un monstre ? Qui est le monstre ? Moi, parce que je profite de ce qui m’appartient ou elle ? Sais-tu ce qu’elle m’a fait pour me juger, petit con ?

En s’énervant, son français prenait un fort accent mêlant du germain à du slave.

- Alors, comment appelle-t-on quelqu’un qui mutile un homme au point de le rendre impuissant ? ajouta-t-il.

A ce moment, je compris qu’il était son beau-père. Il était l’homme qui avait épousé sa mère et l’avait violé pendant son enfance. L’image de Ludmilla plantant un couteau entre les jambes de cet homme, pénétra mon esprit. Non, elle n’était pas le monstre, c’était bien lui ! Mais dans ce monde, les bonnes sociétés imposaient leurs tabous. Je sentis la colère monter, je me préparai à sauter sur la bête lorsque la voix de Ludmilla me calma :

- Ca ne sert à rien de nous énerver. Ce n’est pas la première fois ni la dernière. Et j’ai compris que je te suis échue à vie.

- Pourquoi ? demandai-je.

- Quand je l’ai retrouvée, je l’ai sortie d’une misère assurée, affirma-t-il.

Quelques larmes humidifièrent ses yeux noirs. Je la regardai avec tristesse. Elle n’était plus la jeune femme que j’avais appris à connaitre. C’était une poupée, une marionnette dont les fils invisibles étaient dirigés par son mari. Je ne l’entendais plus parler. Dehors, la pluie tombait de plus en plus fort, cognant parfois le carreau de la porte-fenêtre.

- Maintenant, mets-toi à quatre pattes, ordonna Drahomir.

Une fois en position, il fit un geste de la main à un de ses hommes. Celui-ci, sourire aux lèvres, approcha sous les regards envieux de ses collègues. Drahomir prononça quelques mots de tchèque ou de roumain. Dès lors, le bougre sortit son sexe de son pantalon et l’imposa au nez de mon amie. Elle ouvrit la bouche et accepta, sans rechigner, le gland rouge qui grossit au contact de sa langue. Dehors, la pluie devenait de plus en plus battante. Le ciel s’était noirci.

En découvrant un autre sbire en train de saliver, le vieillard l’invita à pénétrer son épouse. Il se positionna derrière elle, caressa sa fente, enfonça un ou plusieurs doigts et, après que l’ancienne prostituée râla, il baissa son froc et força le sexe de la femme de son maitre. Un peu perdu, j’observai le groupe en train de baiser. Non, ce n’était plus elle mais une poupée dont je pouvais voir les charnières aux bords de chaque membre.

Ils s’amusaient faisant plaisir à Drahomir, dont le visage devenait de plus en plus joyeux. Il aimait la voir sucer, baiser, se faire prendre. Je revis les trous dans la cloison entre nos deux cabines pendant le voyage. Je compris qu’au début de notre relation, j’étais un simple instrument à ses fantasmes. Ludmilla ne bougeait pas ; les mains et les genoux posés au sol, elle continuait d’accepter d’engloutir la bite dure de l’homme pendant que l’autre la bourrinait. Ce dernier la décoiffa en attrapant ses cheveux noirs. Toutefois, elle encaissa les douleurs comme habituée à ces moments de luxure.

Les deux autres employés du mari bavaient en se frottant le sexe à travers leur pantalon. Ils attendaient leur moment, ils savaient qu’ils goutteraient à cette chair promise. Et la pluie qui tombaient toujours. Les nuages noircirent le ciel si bien qu’on ne vit plus le balcon. Puis, Drahomir s’approcha de Ludmilla et caressa ses fesses à l’aide de sa canne. Il dit une phrase que je ne compris pas sur le coup. Le second gaillard retira sa queue de la chatte de la jeune femme, avant d’insérer ses doigts dans son anus. Pour la première fois, elle leva la main et retira le sexe qui occupait sa bouche pour serrer les dents.

Lorsque j’entendis le mot ‘sodomie’, mes tripes se retournèrent. Drahomir me regarda quitter la chambre. Je pus l’entendre une dernière fois :

- Vous ne saviez pas que c’était sa spécialité quand elle travaillait dans les bordels ?

Il faisait sombre dans le couloir. Je marchai d’un pas rapide mais feutré. J’avais en tête les braillements des gardes du corps. Et sur les murs, leurs silhouettes se dessinaient ainsi que celle de mon amour. Ils la chevauchaient chacun leur tour, en insistant à tirer ses cheveux. Je descendis dans le hall. Il n’y avait personne en dehors d’un concierge assis derrière un comptoir. Sur un des murs, je vis Ludmilla baisée par un de ces porcs. Alors, je préférai sortir et marcher sous la pluie qui ne voulait plus s’arrêter.

Alex@r60 – mai 2022

 

24 mai 2022

Transylvanie express (23)

tumblr_494258dc06726cfba88469ef936a95f1_68b736d4_500

Je restai allongé dans la baignoire tout en tirant avantage d’une eau chaude et reposante. Je ne pensai pas que l’hôtel profitait d’un système d’eau courante. Je me laissai bercer par les effluves de fumée qui s’échappaient de la baignoire. Elles grimpèrent recouvrant, à l’image de la brume extérieure, l’atmosphère de la salle de bain. La porte ouverte laissa entendre les gestes et les pas de mon amie. Elle venait de s’habiller et, attendait en faisant les quatre cents pas, un groom qu’elle avait appelé en actionnant une clochette attachée à une cordelette. Ludmilla sembla inquiète.

La fumée de plus en plus épaisse forma des tourbillons dans la pièce. Elle dansait autours de la baignoire cherchant à hypnotiser mon esprit. Cependant, je restai inattentif, perdu dans mes pensées. J’étais encore dans la rue, revoyant cet être qui me demandait si je la trouvais belle. Je cherchai à comprendre son approche, la raison de son emprise sur ma personne. Par moments, je surpris la vapeur à prendre l’apparence de son manteau. J’apercevais furtivement la capuche qui couvrait son visage. Mais après avoir cligné des yeux, la fumée recommençait à flotter.

Il faisait si chaud que mon visage se couvrit de gouttelettes de sueur. Elles perlèrent sur ma peau jusqu’à se mélanger avec l’eau du bain. Mes bras reposaient sur les bords en céramique de la baignoire. On frappa à la porte, ma compagne se précipita pour ouvrir. Elle prononça quelques mots avant de se diriger vers un petit secrétaire. Dans l’ouverture de la porte, je remarquai, la silhouette de l’employé. Il parut maigre, petit et jeune… certainement un adolescent. D’ailleurs, sa voix indiqua qu’il n’avait pas encore mué. Une plume griffonna une feuille de papier. Les mouvements oppressants de Ludmilla résonnèrent jusqu’à mes oreilles. Ils se mélangeaient à la fumée dansante. Dès lors, je distinguai une ombre blanche et opaque au milieu de ce brouillard qui brouillait ma vue.

Le garçon d’étage sortit de la suite, après avoir pris le courrier de Ludmilla ainsi qu’un pourboire. Pendant ce temps, la forme approcha lentement. Je remarquai le manteau dont les bords gigotaient à l’image des robes de roumis, ces fameux danseurs orientaux. Une capuche recouvrait la tête. Cependant, ses bras commencèrent à apparaitre. Et malgré leur apparence de plus en plus inquiétante, je restai calme, toujours étendue dans une eau qui ne refroidissait jamais.

De l’autre côté, mon amie se rongeait les ongles. Ses talons claquèrent contre le parquet. Je la vis passer et passer tout en tournant de temps en temps la tête vers la porte de la chambre. Elle semblait m’avoir oublié. Mais, brusquement, elle écarta la porte afin de me rejoindre. De l’autre côté de la salle d’eau, la silhouette persévéra à rester au milieu de la vapeur qui continuait de s’échapper de mon bain.

- Yannick, entendis-je comme un murmure lointain.

Je ne savais pas si c’était ma belle ou l’ombre qui venait de parler. Mon prénom résonna de nouveau. J’inspirai soudainement jusqu’à remplir mes poumons. Ludmilla se présenta à ma gauche, obstruant le peu de lumière qui venait de la chambre. Cependant, la silhouette était toujours visible. La fumée la déformait de plus en plus, si bien que je crûs voir ses bras s’allonger et flétrir en un rien de temps. La chair de ses membres noircit et commença à se détacher, laissant apparaitre des os de la même couleur que la brume dans laquelle je baignais. La chose approcha à ma droite. Puis, comme dans un miroir déformant, elle imita les gestes de la jeune tchèque. Elles posèrent une main sur le bord de la baignoire. L’une était blanche et belle, des doigts fins et propres. L’autre n’était qu’un tas d’osselets tordus terminé par des ongles noirs et griffus.

- Yannick ?

Je tournai la tête vers Ludmilla. Je ne vis pas son visage, ne distinguant que ses formes en raison de la chaleur qui transformait la pièce en sauna. Je ne répondis pas, gardant la bouche entre-ouverte. Sa main effleura mon épaule gauche. Je frémis en réalisant que la main osseuse caressa mon épaule droite. Dès lors, je tournai brutalement la tête vers la silhouette devenue proche. La capuche empêchait toujours de dévoiler sa figure. Il y avait aussi un étrange mélange de parfum subtil et de pouriture ; La vanille et la fleur d’orange se mêlaient à l’odeur de l’œuf pourri et du rat crevé. Malgré cela, je restai coi, attendant que Ludmilla parlât Je pouvais ressentir son angoisse.

- Je crois qu’il est ici… à Bucarest.

- Qui ? demandai-je.

- Drahomir… mon mari.

Il y avait presque des larmes dans ses mots. Elle renifla brutalement, ce qui n’était pas son genre. Sa main continua de frotter doucement mon épaule gauche ainsi que mon bras. L’effrayante ombre fit de même avec mon bras droit. Ses griffes lacérèrent mes muscles. Je préférai ne rien dire, persuadé mais aussi un peu surpris, par l’attitude indifférente de ma compagne à son égard. C’était à croire qu’elle ne la voyait pas.

- Qu’est-ce qui te fait penser à ça ?

- Le courrier dès notre arrivée, c’était lui ! Je ne sais pas comment, mais il sait où nous logeons. Il a déjà envoyé deux télégrammes, dont un de l’aérodrome. Je suis certaine qu’il va venir.

Elle se pencha jusqu’à s’agenouiller afin d’avoir sa tête à ma hauteur. Je sentis le souffle froid et putride de la silhouette. Du coin de l’œil, je pouvais voir la capuche toucher le bord de la baignoire. En se baissant, Ludmilla laissa passer un faisceau de lumière qui se termina sur l’habit noir du spectre.

- Il faut partir aujourd’hui, ajouta-t-elle.

Je gardai le silence. J’avais du mal à réfléchir en raison de la forte chaleur qui continuait à embuer, aussi bien la salle de bain que mon esprit. De plus, un écho retentit, revenant comme une vieille comptine. Ce n’était qu’une phrase et elle venait de ma droite : « Est-ce que tu me trouves belle ? ». Les doigts du squelette imitaient toujours ceux de Ludmilla. Ils se déplaçaient sur la peau de mon épaule droite, laissant un frisson parcourir l’intégralité de mon corps. J’avais froid alors qu’il faisait si chaud.

- je me suis renseignée, et il y a une diligence qui part pour Hermannstadt. De là, on pourra rejoindre Kronstadt, ou si tu préfères, Brasov.

- Je ne sais pas. Une diligence spéciale nous a été affrétés et arrivera demain. Tu sais, on n’est pas à une journée près… et je n’ai pas peur de lui, dis-je.

Les ongles de Ludmilla s’enfoncèrent dans mon bras en même temps que les griffes du fantôme à la capuche. Elle soupira pendant qu’une phrase résonna dans ma tête : « Est-ce que tu me trouves belle ? ». Alors, résignée, Ludmilla se releva et sortit de la salle. J’écoutai le bruit de ses talons sur le parquet. Ils étaient moins rapides, plus doux mais leur vibration apporta une étrange tristesse dans l’air. Je sentis aussi l’ombre s’éloigner de la baignoire pour retourner dans les profondeurs de la brume toujours formée par la vapeur de l’eau chaude. La silhouette blanchit petit-à-petit jusqu’à disparaitre définitivement. Je somnolai encore un peu avant de quitter le bain devenu tout à coup froid. La vapeur laissa place à la lumière des chandeliers à bougies accrochés aux murs.

Après m’être essuyé et habillé, je rejoignis mon amour étendue sur le lit. Son regard sombre et triste, confirmait qu’elle angoissait toujours. Aussi, je l’enlaçai lui promettant de la protéger contre cet homme ignoble. J’en savais assez à son sujet pour le juger. Toutefois, je me sentais prêt à l’affronter. De plus, pour rassurer Ludmilla, je lui proposai de sortir, avant de rejoindre le restaurant pour notre dernier diner dans le palace. Elle soupira puis se leva. Mais au moment de quitter la chambre, la porte s’ouvrit brutalement ! Quatre solides gaillards entrèrent brusquement avant de laisser place à une ombre sur le seuil. Il portait une canne. Et lorsqu’elle reconnut son visage, Ludmilla souffla par dépit. Drahomir venait la récupérer !

Alex@r60 – mai 2022

17 avril 2022

Transylvanie express (22)

Dirk Wüstenhagen

Ses yeux étaient d’un bleu si profond qu’on pouvait s’y noyer. Ils étaient grands, immenses et rappelaient énormément les personnages de mangas. De temps en temps, elle recoiffait une mèche rebelle. J’étais surpris de voir qu’elle ne portait pas de chignon, mais laissait sa longue chevelure retomber sur les épaules. Si elle n’était pas châtain aux yeux bleus, elle ressemblerait à Ludmilla. Elle riait à son compagnon, exposant de jolies dents blanches. Je remarquai leurs mains se caresser à côté de leurs assiettes qui restaient toujours pleines.

-          Je serai presque jalouse, murmura Ludmilla en montrant un petit air amusé.

Surpris, je réagis en remontant le buste et en détournant le regard. Mon assiette était vide et j’attendais le serveur pour réclamer un dessert. Autour de nous, les tables de la salle à manger étaient toutes occupées par des couples ou juste par des commerçants itinérants. Il n’y avait aucun enfant, aucune famille malgré le standing étoilé du palace.

Un domestique en costume noir récupéra nos assiettes puis revint avec des crêpes Suzette. Je commençai à couper mon dessert lorsque je fus pris de vertige. Tout commença à tanguer; les tables, les clients, la salle entière bougeait au rythme de vagues inexistantes. Mes mains accrochèrent la nappe. J’inspirai fortement sans montrer la moindre émotion.

-          Est-ce que tu me trouves belle ?

-          Comment ? répondis-je

La voix venait de loin. Cependant, elle m’aida à revenir sur terre. Autour de nous, les gens ne bougeaient plus. Ils ressemblaient à des pantins, des marionnettes de chiffon ou de cire. J’observai la fille aux yeux bleus. Ce n’était plus qu’une poupée de porcelaine. La bouche fermée était peinte, ses yeux recouvraient la moitié de son visage blanc et ne remuaient pas. Même le serveur debout derrière la table des salades et des entrées, présenta une stature de mannequin. Seule mon amie gesticulait en mangeant sa crêpe.

-          Comment ? s’étonna-t-elle.

-          Est-ce que tu me trouves belle ?

La voix résonna une seconde fois. Elle venait de très loin. Ludmilla me dévisagea, inquiète de me voir tourner la tête à tout bout de champs. Personne ne remuait. Nous étions cernés de poupées plus ou moins jolies. Je frottai me yeux avant de répondre.

-          Oui, bien sûr !

-          De quoi parles-tu ?

-          Tu m’as demandé si je te trouvais belle, alors je te réponds oui. Tu es très belle.

Elle rougit, et se remit à découper sa crêpe. Les autres clients du restaurant retrouvèrent leur apparence humaine. Dès lors, un brouhaha interrompit brutalement le silence pesant.

-          C’est gentil, mais je n’ai rien dit ! 

Nous ne parlâmes plus, continuant de déguster la fin du repas. Ensuite, nous nous levâmes afin de retourner dans notre chambre. Mais en passant devant le comptoir d’accueil, un concierge nous interpela.

-          Lady Jezikova, vous avez reçu un télégramme.

Surpris, nous nous regardâmes car nous n’avions jamais donné le nom de Ludmilla à qui que ce soit dans l’hôtel. Elle approcha et récupéra le morceau de papier. Son visage blêmit soudainement. Son regard devint humide. Elle pinça ses lèvres entre les dents. Les clients présents dans le hall se transformèrent lentement en mannequin de grand magasin avant de retrouver leur apparence au bout de quelques courtes secondes.

-          Y a-t-il un téléphone, ici ?

-          Désolé madame, c’est en court d’installation partout dans Bucarest. Vous en trouverez un dans le bureau des postes au bout de la rue.

Après quelques explications, elle m’oublia et se dirigea vers la sortie. Je restai éberlué au milieu du hall et ne réagis qu’une fois Ludmilla hors de ma vue. Alors, je me précipitai à l’extérieur du palace. Le portier signala la direction de la jeune femme, mais avec le brouillard, je ne vis pratiquement rien. Dès lors, je marchai au mieux, en espérant ne pas me tromper de rue. Apparemment, le relai de poste n’était pas très loin.

En m’éloignant de l’hôtel, je m’éloignai aussi des bruits de la rue. J’avançai au milieu du brouillard, distinguant mal les façades des maisons pourtant si proches. Je marchai lorsque je vis une silhouette au loin qui avançait à pas pressés.

-          Ludmilla ? criai-je.

Elle s’arrêta et après avoir posé une question, elle reprit son chemin.

-          Est-ce que tu me trouves belle ?

-          Ludmilla ! Attends-moi !

Elle continua de marcher, éloignant la brume devant elle. Sa démarche n’avait rien de naturel, frôlant presque le sol. Sur le coup, je me demandai si je suivais bien Ludmilla. Puis, elle se retourna ; je reconnus son visage, ses joues roses, ses lèvres rouges et ses yeux marron. Dès lors, j’accélérai. Elle ne m’attendit pas, reprenant son pas forcé.

-          Est-ce que tu me trouves belle ? Entendis-je.

L’écho résonna dans mon esprit, comme s’il venait de mon subconscient. Mon amie franchit une grille pour entrer dans une sorte de parc. Cela m’étonna, d’autant qu’elle ne connaissait pas la ville. Elle marcha sur le chemin cerné d’arbres et de brouillard. Elle dégageait sur son passage un parfum de vanille et de fleur d’oranger. Je l’appelai mais toujours elle répondait par :

-          Est-ce que tu me trouves belle ?

Je ne vis rien du jardin, pas plus que de la lumière qui se noircissait de plus en plus. Il était midi, pourtant, on se crut en pleine nuit. Je persistai à suivre Ludmilla. Elle avançait encore dans le parc, s’engouffrant de plus en plus profondément dans ce labyrinthe de verdure et de coton. Elle ne s’arrêta plus, laissant le vent apporter quelques mots à mon ouïe. :

-          Est-ce que tu me trouves belle ?

Alors, essoufflé, fatigué et brutalement pris de vertige, je criai une réponse à moitié étouffée par un manque d’oxygène : « Oui ! ». Ludmilla s’arrêta soudainement pour se retourner et m’attendre. J’essayai de retrouver une respiration normale. Par moment, afin de ne pas tomber, je me retenais en appuyant la main sur l’arbre le plus proche. Elle ne portait plus sa robe de couleur mais un long manteau noir. Une capuche recouvrait ses cheveux. Et un écho brisa le silence :

-          Est-ce que tu me trouves belle ?

Je ne pensai plus ni n’arrivai à parler. Je marchai difficilement en titubant. Mon cœur sembla éclater mes tympans, je l’entendis battre dans ma gorge, dans chacune de mes veines. Aussi, arrivant à cinq mètres de ma compagne, je m’arrêtai avant d’appuyer la main contre un arbre.

-          Est-ce que tu me trouves belle ?

Ses lèvres n’avaient pas remué. Ce n’était pas Ludmilla. La créature portait un masque à l’image de mon amie. Elle glissa jusqu’à moi. L’odeur de vanille et de fleur d’oranger laissèrent place à une odeur putride, une odeur de rat crevé. Elle approcha sans faire de bruit, pourtant, j’entendis bien sa phrase répétée avec agressivité :

-          Est-ce que tu me trouves belle ?

Je fuis ! Je fis demi-tour ! Mais à peine commençai-je à courir que je sentis une pression sur mon épaule. Quelque-chose agrippa mon cou, s’y enfonçant au plus profond. Je sentis mon sang me quitter, Un filet de sang coula aussi de mon nez. Le col de ma chemise se teinta de rouge. La chose buvait goulument, pénétrant toujours ses crocs dans ma chair.

-          Est-ce que tu me trouves belle ?

Je tombai sans réaliser qu’elle venait de parler, alors qu’elle me dévorait, tout en accompagnant mon corps sur le sol. Je crus à mon dernier souffle, je m’attendais à disparaitre, à mourir ici. Et dans un ultime soupir, je murmurai :

-          Oui. Tu es très belle.

A ce moment, elle releva la tête avant de s’évanouir dans le brouillard. Un vent frais frôla mon visage. Je me relevai, exténué, Je courus jusqu’à la grille d’entrée. Puis, après avoir reconnu la rue, je retrouvai la route jusqu’au palace. Ludmilla, habillée de sa jolie robe colorée, m’attendait dans le hall. Elle m’enlaça, heureuse de me revoir. Elle releva le col de ma chemise.

-          Tu es blessé ? demanda-t-elle.

Il était taché de rouge brun. Pourtant je n’avais aucune trace de morsure.

 Photo Dirk Wüstenhagen

17 avril 2022

Transylvanie express (21)

Der Nachtwächter, Karl Martin August Splitgerber

Le carrosse s’engouffra dans une ruelle isolée, nous éloignant des bruits de la civilisation. D’ailleurs, le brouillard revint petit-à-petit, jusqu’à envahir notre espace dans le caisse. Par moments, le visage de Ludmilla devenait opaque, m’obligeant à me frotter les yeux.

Les sabots des chevaux résonnèrent entre les murs faits de bois et de torchis. En poussant légèrement le rideau, la première fois, je n’aperçus pratiquement personne, si ce n’est un bougre qui rentrait certainement chez lui. L’homme s’arrêta au passage de l’hippomobile et retira son chapeau. Il croisa mon regard et parut désolé. En revanche, la seconde fois, je remarquai une ombre étrange. Elle se cachait dans un long et large manteau noir. Une capuche masquait son visage, attirant encore plus mon attention. Elle sembla inerte puis elle disparut avec l’éloignement de la diligence. Néanmoins, elle réapparut à plusieurs reprises, disséminée dans une allée sombre, au coin d’une ruelle ou juste, derrière un muret.

Les rues étroites et sales se succédèrent, sans pour autant gêner le conducteur ni les chevaux qui, avancèrent à un rythme lent. Soudain, une énorme vague éclaboussa le toit du carrosse, faisant sursauter Ludmilla. C’était une ménagère qui venait de jeter, par la fenêtre, des eaux usés, sans porter attention à notre présence. Habitué, le voiturier continua de faire avancer son attelage pas plus effrayé que lui.

Par moments, la figure de mon amie paraissait devenir lisse. Son nez, ses yeux disparaissaient. Sa bouche peinte de rouge se transformait en un trait fin allant d’une oreille à l’autre. Je devais cligner des yeux ou les frotter pour retrouver la vue et son apparence. Le brouillard embrumait encore plus mon esprit lorsque je ne compris rien de ce qu’elle dit. Je répondis simplement en hochant la tête, parce que je ne voulais pas l’inquiéter. Déjà, mes pertes de connaissance dans le train, l’avait alertée.

Après quelques minutes dans ce dédale, nous arrivâmes à un boulevard où, les sons des chevaux se mêlaient aux crieurs de journaux, et à la population en plein mouvement. Cependant, le brouillard m’empêcha d’apercevoir qui que ce soit. La purée était si épaisse que je distinguais à peine les immeubles. Puis, le carrosse stoppa brusquement. Une silhouette noire approcha. C’était un portier dont la tenue rappelait vaguement les agents de police à vélo, pendant la belle époque. Il ouvrit la porte du coche, Ludmilla descendit la première. En découvrant l’hôtel, je fus ébahi par la différence d’architecture avec les ruelles étroites et crasseuses que nous avions empruntées. Le palace présentait un aspect nettement plus moderne et plus propre. Il se dressait à l’angle de deux grandes rues, et faisait face à une place qui portait le nom d’une ancienne reine de Roumanie.

Je reculai afin de mieux admirer l’hôtel. Ne distinguant pas le sommet, je continuai de marcher en arrière lorsqu’un cri m’apeura. Un chariot frôla mon dos. Le cheval ronfla comme pour m’engueuler, tandis que son propriétaire hurla quelques insultes en patois. Cependant, je restai immobile en découvrant la silhouette encapuchonnée dissimulée dans l’arcade d’un petit immeuble. Malgré le brouillard, elle se distinguait nettement par la couleur noire de son manteau.

Comme d’habitude, Ludmilla donna ses instructions aux bagagistes. En fait, elle craignait de perdre une valise. Nous entrâmes dans le hall immense entièrement boisé. Derrière son guichet, un concierge au sourire forcé, m’invita à le rejoindre. Une raie séparait par le milieu, ses cheveux aplatis avec de la brillantine. Il me rassura en répondant à mon bonjour en exprimant un Français maitrisé.

Il jeta un œil dans un registre avant de tourner le dos pour se diriger vers une étagère composée de casiers. Aussi, il récupéra quelques papiers et revint reprenant sa pose initiale. Son sourire ne quitta aucunement son visage rose. Pendant ce temps, l’écho des pas de quelques clients retentirent dans le hall. Ludmilla attendait devant ce qui ressemblait à une cage d’ascenseur. C’était une plateforme cerclée de grilles et tirée par de grosses cordes. A côté d’elle, deux bagagistes habillés de rouge, patientaient, tout comme un jeune liftier, qui gérait l’ascenseur. Il ne devait pas avoir plus de douze ans.

- Voici votre courrier, annonça le stewart.

Il s’agissait surtout de télégrammes, des messages de Joseph Marchois, inquiet de ne pas avoir de nouvelles. Un courrier m’intrigua. Il s’agissait d’une lettre de l’historien vivant à Brasov. Je lis rapidement son message dans lequel il annonça le retard d’une diligence affrétée pour mon trajet. Je devais rester quelques jours. Il était impatient de me rencontrer.

Nous montâmes ensuite à l’étage. Le couloir parut glauque et terne. Le manque de lumière extérieure n’arrangea rien aux couleurs jaunes fades ni à la boiserie vieillotte. Les porteurs nous devancèrent jusqu’à notre porte que le plus vieux ouvrit, afin de déposer les valises. Puis, ils disparurent laissant Ludmilla et moi dans ce qui ressemblait, à un petit appartement.

C’était un trois pièces, chambre, salon et salle de bain. Mon amie s’allongea sur le lit tout en soufflant. J’ouvris la porte accédant au balcon. Dehors, le brouillard avait totalement envahi la place. Par contre, j’entendais toujours les bruits de la ville, les convois en déplacement, les sabots sur les pavés, les gens parler ou marcher, quelqu’un toussa. Et puis, il avait encore la silhouette encapuchonnée. Elle restait, telle une statue, sous l’arcade à observer dans ma direction. Elle ne montra toujours rien de son apparence, restant à l’écart du reste de la civilisation. Elle n’était toujours pas absorbée par la brume, paraissant même l’éloigner.

Je rentrai rejoindre Ludmilla qui frottait ses épaules pour se réchauffer. Elle s’était levée et commençait à rangers ses vêtements dans la seule armoire de la chambre. Elle rappelait les vieilles armoires de famille, celles qui sont en chêne et qui réveillent les souvenirs de vacances chez les grands-parents. De mon côté, je m’assis afin de relire les courriers récupérés à la réception. Je relis quelques messages rapidement, notamment celui de Klaus Möller. L’historien allemand évoquait aussi un risque d’épidémie du mal des méninges ; la raison du retard de la diligence ?

- Je dois descendre pour envoyer un télégramme, annonçai-je.

- Pas besoin, répondit Ludmilla.

Elle approcha d’une cordelette en train de pendouiller à côté de la porte d’entrée, puis elle tira dessus laissant entendre un léger tintement de clochette.

- Voilà, un groom, va venir, ajouta-t-elle en souriant. Décidément, tu ne vas jamais dans les hôtels.

En effet, il ne fallut pas cinq minutes avant d’entendre frapper à la porte. Un garçon d’une quinzaine d’années entra et attendit au garde-à-vous, mes ordres. J’écrivis un mot sur une demi-feuille de papier : « Enfin arrivés à Bucarest. Je te tiens au courant de la suite. Yannick. Destinataire : Joseph Marchois, bibliothèque nationale du Louvre, Paris, France. »

- Télégramme, important, dis-je en tendant le message ainsi qu’une pièce d’argent.

L’adolescent en uniforme bordeaux récupéra le tout et hocha la tête afin de montrer qu’il avait compris. Il sortit en fermant la porte silencieusement.

 - Nous restons combien de temps, ici ?

- Je ne sais pas encore… Deux, trois jours… peut-être plus, répondis-je.

Ma nouvelle compagne continua de ranger ses robes dans l’armoire. Je la regardai défaire les valises ainsi que la grosse malle. Je réfléchissais sur la façon de passer le temps dans cette capitale inconnue. Que pouvais-je visiter ? que voir ? Je n’en savais rien. Surtout que le brouillard blanchissait entièrement le paysage. Ludmilla rangea ensuite ses sous-vêtements, des culottes de soie et des bas. Il y avait aussi quelques corsets. Une fois qu’elle eut fini, elle décoiffa son chignon, laissant retomber ses longs cheveux bruns. Elle déboutonna le haut de sa robe et se dirigea vers la salle d’eau.

- Cela fait une éternité que je n’ai pas pris de bain, soupira-t-elle.

Je n’entendais rien du brouhaha de la rue. La silhouette noire avait enfin disparu.

Alex@r60 – avril 2022

Image: Der Nachtwächter, Karl Martin August Splitgerber

17 avril 2022

Transylvanie express (20)

tumblr_4416368c744607cc6aedf97ff1dc81e0_35170ae3_500

Le jour où le brouillard disparut, Catalina s’amusait à crier par la fenêtre. Elle saluait aussi bien avec les bras sortis pour défier la force du vent, qu’avec sa voix qui répétait sans arrêt : « Buongiorno a tutti ! » Elle criait, découvrant le timbre de sa voix qui, parcourait la campagne. Elle ressemblait à ces enfants en train d’appeler l’écho au bord d’une falaise de montagne. Dehors, les paysans s’attardèrent à observer le train, répondant à ses cris de joie par un salut de la main, avant de reprendre leurs labours.

J’écoutais sa voix aigüe rire et brailler. De temps en temps, je voyais ses bras gigoter et se balancer dans les airs. Elle hurlait sa joie. Puis, elle s’éloigna. La fenêtre claqua et l’on entendit les rires continuer avant de se taire. Au premier gémissement, Ludmilla me regarda en haussant les sourcils. C’était encore reparti pour un moment de sexe entre les deux vénitiens !

Les chocs contre le mur, les geignements, les soupirs, les râles résonnèrent jusqu’à nos oreilles. Je me sentis gêné, parce que j’avais leurs visages en tête, et déjà, l’image de leurs corps se frottant, se profila dans mon esprit. Je ne pouvais que répondre à Ludmilla par un sourire grimaçant.

- Et si nous faisions pareil ? exclama-t-elle tout-à-coup.

Elle me prit au dépourvu en s’asseyant à côté de moi. Sa main caressa ma cuisse et sans prévenir, elle approcha ses lèvres des miennes. Sa langue envahit ma bouche, m’interdisant de répondre en conquérant mon esprit devenu brusquement docile. Nous nous embrassâmes oubliant les plaisirs non retenus de la cabine voisine. Ensuite, ma main commença à caresser son visage avant de descendre dans son corsage. Elle réussit à s’engouffrer difficilement en appuyant contre son sein gauche. Les battements de son cœur circulèrent jusqu’au bout de chacun de mes doigts.

Malgré nos baisers, elle soupira avant d’éloigner la tête et de s’allonger. Son regard en plus d’un petit sourire malicieux en coin, m’invita à étendre mon corps près d’elle. Pendant que je pris mes aises, elle tira sur le lacet de son corsage. Sa poitrine gonfla, faisant ressortir les tétons durcis par le désir. Ma main effleura les parties visibles de sa peau blanche. Ludmilla retint un râle lorsque je visitai son entrejambe. Nous oubliâmes les agissements bruyants des Italiens.

J’aimais Ludmilla. J’aimais regarder les étoiles dans ses yeux dès que nous faisions l’amour. J’adorais la voir fermer les paupières quand son plaisir prenait possession de son corps. J’aimais le contact de la peau contre la mienne. J’aimais sentir sa respiration lorsque je l’enlaçais.

Contrairement à Catalina, Ludmilla retint ses cris. Elle pinça ses lèvres entre les dents jusqu’à ce qu’elle m’entendît jouir. C’était plus fort que moi. Cependant, grâce à son expérience dans la prostitution, elle bloquait généralement le canal reliant les testicules, empêchant ma semence de jaillir, en l’obligeant à prendre un chemin pour se diluer dans la vessie.

Je pouvais donc continuer et jouir en même temps qu’elle. Ce fut une explosion intense, serrés l’un contre l’autre. Le monde pouvait s’écrouler, la cabine prendre feu et le train dérailler, rien ne nous empêchait de rester enlacés pendant ces quelques longues et savoureuses secondes. Puis, nous restâmes allongés, reprenant notre souffle. J’aimais le parfum de vanille et de fleur d’orange dégagé par sa sueur. J’aimais la sensation de ses mains sur mon ventre, moment d’hésitation entre brosser les poils de mon corps, de mon pubis et m’inviter à recommencer.

Mon amie se leva soudain. Elle resserra le cordon de son corsage après avoir rentré sa poitrine. Puis elle s’habilla d’une robe légère mais assez volumineuse avant de commencer à ranger ses vêtements dans une malle. Une partie récupérée la veille dans le wagon blanchisserie, était déjà dans la grosse valise. En découvrant l’heure sur ma montre à gousset, je compris que nous arrivions bientôt à Bucarest. A côté, le silence régnait, si ce n’était le bruit du train. J’aperçus les mains de Catalina par la fenêtre. Elle regardait les champs enfin visibles.

Une heure plus tard, un contrôleur passa dans le couloir. Il annonça le prochain arrêt. J’attendis les dix dernières minutes en regardant par la fenêtre. J’étais content de ne plus voir ce maudit brouillard. Quelques villages furent apercevables au loin, au milieu des champs et des pâtures. Un peu de poussière s’envolait au passage du train. Et la belle blonde italienne criait toujours « Buongiorno ! » dès qu’elle apercevait quelqu’un. Elle était toujours collée à la fenêtre de sa cabine, les bras posées sur la vitre baissée. Ses mains se caressaient mutuellement, croisant parfois leurs doigts. De temps en temps, elle riait ou parlait en italien. En revanche, je n’entendis pas son mari.

Les maisons devinrent de plus en plus nombreuses et de plus en plus proches. Aux premiers bâtiments à étage, j’invitai Ludmilla à sortir. Nous attendîmes la venue d’un bagagiste pour déplacer les valises dont la malle de Ludmilla. Je gardais sur moi, la sacoche contenant les documents de la bibliothèque du château de Brasov, ainsi que mes papiers professionnels. En fait, je n’avais que ça pour m’identifier. Un courrier signé par un ambassadeur de Roumanie, servait de passeport.

Le train ralentit soudainement pour entrer en gare. La présence d’une immense foule sur le quai rassura les passagers : Le mal des méninges n’avait pas atteint Bucarest ! Nous attendîmes l’arrêt complet du train avant de descendre. Ludmilla me suivit et, une fois sur le quai, elle regarda les employés des chemins de fer qui descendaient nos bagages. Je n’entendis rien de ses recommandations auprès des valets du quai, relayant ceux du train, tellement il y avait de monde et de bruit. D’ailleurs, j’esquivais une bousculade quand un homme pressé frôla mon épaule.

Les deux domestiques se dirigèrent ensuite vers la sortie. Ma compagne les suivit. Tout à coup, elle porta son attention sur le train, poussant ma curiosité à faire de même. Un des contrôleurs, m’appela mais n’entendant rien, il fit signe de monter. J’approchai en m’excusant auprès des autres voyageurs.

- Vous avez oublié quelque-chose ! cria-t-il.

Son collègue descendit les marches afin d’empêcher le train de repartir et me proposa de retourner dans ma cabine. Ludmilla attendit sur le quai après avoir alerté les domestiques. Fier d’avoir signalé mon oubli, le contrôleur afficha un beau sourire.

- Oui, vous avez oublié vos automates, dit-il.

Il m’invita à entrer dans la cabine des Italiens, ce que je fis sans rien dire. Sur la couchette du bas, deux poupées de taille humaine étaient assises. Elles se touchaient par l’épaule. L’une avait les cheveux blonds et une apparence féminine, l’autre était plus petite mais plus imposante. Elles ressemblaient trait pour trait au couple de vénitiens.  Je les observai en me demandant comment ils pouvaient se transformer. Surtout que leurs yeux gesticulaient dans tous les sens.

- Désolé, je n’avais pas cette cabine, dis-je.

L’homme du train parut surpris. Il regarda le numéro sur la porte.

- Effectivement. Excusez-moi !

Dès lors, je redescendis rejoindre Ludmilla qui attendait toujours sur le quai. Les deux bagagistes commençaient à fatiguer. Puis, en me voyant, ils reprirent leur marche en direction de la gare. Nous traversâmes difficilement le hall en raison du monde. Une fois dans la rue, les valets déposèrent nos valises à l’arrière d’une calèche. Le conducteur aida Ludmilla à grimper. Ensuite, il attendit mes ordres.

- Athénée palace, dis-je en lisant un des courriers écrits par mon supérieur Joseph Marchois.

Pendant que les chevaux hennirent, le train quitta la gare. A la fenêtre de sa cabine, Catalina s’amusait de nouveau à saluer les gens en criant : « Buongiorno a tutti ! »

Alex@r60 – mars 2022

Photo: Roger Deakins- On a train returning from a day of shooting for -The Reader- Germany (2007)

26 mars 2022

Transylvanie express (19)

tumblr_oln6ulVpwu1tg74jzo1_1280htt

C’était un bourdonnement incessant !

Au début, je n’y faisais pas attention. Je restais assoupi, le livre de Ludmilla sur le ventre. J’avais essayé de traduire quelques passages pendant qu’elle se promenait dans le train, afin d’oublier cette longue attente avant d’arriver à Bucarest. Je commençai à fermer les yeux, plongé par les roulements du train. Puis, un nouveau son apparut lentement jusqu’à m’intriguer.

Je crus d’abord à un zeppelin. Seulement, il n’y avait rien dehors, à part ce fichu et ténébreux brouillard intense. Toutefois, j’observai par le carreau ce qui pouvait être visible. C’est-à-dire, quelques ombres, hypothétiques bâtisses lointaines, forêts perdues dans un paysage désolé. Puis, je constatai que le vacarme venait de l’intérieur du train.

Dès lors, j’ouvris la porte, écoutant la sirène continuer de siffler sans arrêt. Cela ressemblait parfois à un moteur et, tellement puissant qu’il cachait le bruit du train. Je sortis de ma cabine et me dirigeai d’un pas lent vers ce bruit, dont l’origine resta inconnu. De plus, le couloir devint rapidement vide. Personne ne semblai être inquiet par cet horrible bourdonnement. Je marchai comme attiré par le son. Je pouvais voir les silhouettes défiler dans la brume, signe que le train avançait toujours. Le bourdonnement continua. De toute façon, même s’il s’arrêtait brusquement, j’aurais gardé le bruit dans la tête.

Le couloir parut terriblement froid malgré ses couleurs flamboyantes. Me dirigeant vers le fond du wagon, je dépassai la porte de nos voisins, puis celle de leurs voisins, et ainsi de suite. Et toujours personne ne sortit. Pendant ce temps, le bruit devint de plus en plus fort. Si fort que je sentis mes tympans se percer. Presque hypnotisé, je continuai de marcher dans le couloir et arrivai devant la porte de la dernière cabine ; là où le bruit sortait !

J’appuyai la poignée et réussis sans mal à pousser la porte. La cabine ressemblait à la mienne. Par contre, elle n’était pas occupée. La sirène sembla provenir de la salle de bain. J’entrai, et m’arrêtai soudain en entendant une voix… une voix féminine et inconnue :

-          Un, deux, trois…un deux trois…un, deux, trois.

Elle chuchotait sans arrêt ces nombres 

-          Un deux trois…un, deux trois…Un, deux, trois

Après avoir inspiré un grand coup, je fis un pas en avant. La voix sembla venir du plafond. Le temps de lever la tête, elle chuchotait derrière moi. Je me retournai subitement, elle se situait de l’autre côté du mur, sur le palier dans le couloir. Une sensation éprouvante commença à envahir mon esprit. Cependant, je voulus trouver l’origine du bourdonnement de plus en plus strident. Alors, doucement, je poussai la porte de la salle d’eau. Tout à coup, le bruit s’arrêta, contrairement à la voix.

-          Un, deux, trois…un, deux, trois…un deux, trois…

J’observai, dans le plus étonnant des silences, l’évier qui gouttelait. Je le serrai, bien que je devinasse qu’il n’était pour rien dans ce vacarme. Puis, je quittai la pièce, retournant dans le couloir. Mais au moment de fermer la porte, le bruit revint. Cette fois, il venait de l’autre côté du wagon. Je traversai de nouveau le couloir dans un terrible assourdissement. Mes oreilles saignèrent, une perle rouge glissa de mon nez et s’engagea sur mes lèvres serrées, parfumant ma bouche d’une forte odeur de fer.

A mi-parcours, je réalisai que le bruit provenait de ma cabine. Je continuai de marcher au rythme de la voix et de ses nombres.

-          Un, deux, trois…un, deux, trois…un, deux, trois…

Un toussotement surgit de la chambre des italiens. La porte s’ouvrit lentement à mon approche, m’invitant à entrer. Cependant, je restai sur le palier, observant la pièce assombrie par le rideau fermé. Par contre, je distinguais deux formes : l’une fine, l’autre robuste. Elles étaient assises sous la fenêtre, le dos collé au mur. Très vite, je réalisai qu’il s’agissait de poupées. D’ailleurs, je reconnus celle qui ressemblait à Catalina. Une sensation de peur me submergea. J’hésitai à retourner dans ma cabine. Tout à coup, la sirène crissa si fort que je tombai presque à la renverse. Mon nez continuait de saigner.

-          Un, deux, trois…un, deux, trois…

Le son devint si violent, que je pris la fuite. Je courus pour sortir du wagon. Je m’éloignai et m’engageai dans un second wagon. Continuant à me diriger vers la queue du train. Je ne remarquai pas les couloirs se ressemblants tous. Enfin, sans m’en rendre compte, j’arrivai dans le secteur des voyageurs quotidiens.

-          Un, deux, trois…un, deux trois… un, deux, trois… reviens à moi !

Je marchai au milieu des deux colonnes de sièges en bois et en cuir. Personne ne montra d’inquiétude envers le ronronnement inhabituel qui couvrait toujours le roulement du train. Personne ne me regarda, ni ne s’inquiéta de voir passer un homme saignant de plus en plus des orifices. Puis, je pris de nouveau peur en les observant de plus près.

-          Un, deux, trois…un, deux trois… un, deux, trois… reviens à moi !

Leur peau était de couleur marron ou peinte d’une substance rose. Leurs bouches n’existaient pas, leurs bras s’enchevêtraient de fils attachés à leurs mains. Certains avaient des bouts de laine pour cheveux, tandis que d’autres se contentaient de peinture noire. Seuls leurs yeux remuaient, me dévisageant parfois lorsqu’ils arrêtaient de tourner. Je marchai aussi vite que je pus, sans courir pour ne pas effrayer un monstre éventuel…et je ne me voyais pas être pourchassé par une horde de marionnettes.

-          Un, deux, trois…un, deux trois… un, deux, trois… Je t’en prie, reviens à moi !

L’écho tambourinait dans ma tête. Je marchai toujours à l’arrière du train. La brume rendait les carreaux des fenêtres opaques. Je ne distinguai même plus les silhouettes des bâtiments. J’ouvris la porte du wagon afin d’accéder au prochain. J’étais encore au milieu de poupées déguisées en ouvriers, paysans ou bourgeois. Ils roulaient les yeux avant de les fixer sur moi. Le gout du sang pénétra ma gorge. Je remarquai une tache rouge et encore fraiche sur l’épaule de ma chemise blanche.

-          Un, deux, trois…un, deux trois… un, deux, trois… reviens à moi !

Lorsque j’arrivai à la dernière porte. Stupeur, le train s’arrêta ! Je distinguai les rails malgré le brouillard et il y avait elle ! Sur le coup, je ne la reconnus pas. Elle portait une longue robe noire, ses cheveux longs cachaient ses épaules. Elle attendait au milieu de la voie ferrée. Dès lors, je descendis du train, et marchai dans sa direction. Le bruit du moteur était encore présent et m’empêcha d’entendre le train repartir.

-          Un, deux, trois…un, deux trois… un, deux, trois… reviens à moi !

J’avançai vers la fille du train. Elle avait le teint blanc contrastant avec ses cheveux noirs. Elle me regarda de ses yeux marron, peut-être noir. J’approchai lentement. J’humectai mes lèvres pour nettoyer le sang. Elle ne dit aucun mot, attendant sagement. Puis, elle tendit les mains pour inviter les miennes à les saisir. Dans son regard, je retrouvai un peu de Ludmilla. Mais, il y avait une énorme différence quant à la forme du nez et du visage.

-          Un, deux, trois…un, deux trois… un, deux, trois… reviens à moi ! chuchota-t-elle tout en gardant la bouche fermée.

Je pris ses mains. Elles étaient gelées. Le brouillard nous absorba. Le bruit du moteur se tu. Elle approcha la tête tout en continuant de marmonner les chiffres. Soudain, elle ouvrit la bouche, dévoilant des dents aiguisées et pointues. Je n’eus pas le temps d’esquiver, sa morsure s’enfonça brutalement dans mon cou. Je demeurai inerte, la laissant s’abreuver du sang qui me restait. Dès lors, je fermai les paupières. Je sentis mon âme s’envoler.

-          Un, deux, trois…un, deux trois… un, deux, trois… reviens à moi !

La voix de Ludmilla me fit sursauter. J’étais dans ma cabine, allongé sur la couchette. Un sourire irradia brusquement son visage. Elle souffla et me prit dans ses bras, oubliant le livre sur mon ventre  dont elle froissa quelques pages

-          Tu m’as fait peur, dit-elle. J’ai pensé que tu ne te réveillerais pas.

Un nuage de fumée sortit de sous la porte. Mes bras enlacèrent mon amie. J’avais toujours le goût du sang dans la bouche.

-          Je rêvais profondément, assurai-je.

Toutefois, je regardai toujours la porte, me demandant si c’était réellement un rêve.

Alex@r60 – mars 2022

ps://alexar60.tumblr.com/post/679739234794586112/transylvanie-express-19

19 mars 2022

Transylvanie express (18)

tumblr_0320e7a0a309a3d1eb76e35823c6e202_2caf5031_640http

Elle était assise sur la seule chaise disponible dans la cabine. Presque à mon chevet, elle lisait à haute voix, mais lentement pour m’aider à comprendre le sens des phrases. Parfois, je tournais les yeux dans sa direction ; non pas pour la questionner mais juste pour admirer son teint frais, son chignon à moitié défait et ses seins qui essayaient de sortir de son corset. Puis, je fermais les paupières. Je repensais à notre première rencontre dans le wagon-restaurant, à la visite de Venise, à nos nuits et nos jours dans la couchette dans laquelle j’étais allongé. De temps en temps, j’inspirai fortement, cherchant à inhaler son parfum de vanille et de fleur d’oranger.

Son timbre doux et mélodieux fit oublier le cognement des roues sur les rails. Elle restait gravée dans ma mémoire. Aussi, il m’arrivait de l’entendre quelquefois, la nuit ou pendant quelques moments d’égarement. Elle rappelait qu’elle était avec moi. Elle chantait dans mes rêves, elle soufflait mes peines, elle réchauffait mon cœur.

-          Qu’y a-t-il ? demanda-telle brusquement.

-          Rien, répondis-je.

-          Pourquoi souris-tu ?

-          Parce que je suis bien.

J’entendis un sourire à travers son soupir. Elle se leva en tenant toujours le livre dans la main. Elle allait se pencher lorsqu’un bruit sourd attira son attention. Dès lors, elle zyeuta par la fenêtre, cherchant à trouver l’origine de ce bruit dans la brume.

-          C’est un dirigeable, affirma-t-elle. On peut le voir tellement il est bas.

En effet, la nacelle du ballon frôlait les cimes des arbres. Elle couvrit ses épaules d’une veste et sortit dans le couloir pour encore le regarder. Elle avait une attirance particulière pour les dirigeables. D’ailleurs, elle regrettait de ne pas être un homme, rien que pour en conduire un. Lorsque je la rejoignis, elle avait collé son nez au carreau et admirait le monstre dans le ciel, soupirant, éblouie comme un enfant devant un magasin de jouets un jour de décembre.

Le ballon suivit le train pendant quelques minutes avant de changer de cap et de s’éloigner, s’enfonçant dans une forêt dont l’étendue était difficile de cerner. Ludmilla resta à la fenêtre, le nez en l’air, les yeux pétillants de plaisir. Elle ignora un passant qui retira son chapeau pour nous saluer. L’homme ne s’indigna pas et continua son chemin pendant que le moteur du zeppelin ne se fit plus entendre.

-          C’est bizarre, dit-elle. J’ai une étrange sensation.

Elle continuait d’observer le brouillard, elle attendait un éventuel retour du dirigeable. Elle posa sa main sur le carreau froid de la fenêtre et attendit mon intervention. Je demeurai derrière elle, un peu surpris par sa tristesse qui m’envahissait petit-à-petit. La porte de l’italien s’ouvrit violemment. Son rire envahit le wagon. Il était habillé d’un costume à carreau, lui donnant un aspect de polichinelle. En nous voyant, il leva les bras. Je m’attendais à une accolade digne des embrassades de comédie, mais il n’en fut rien.

-          Alors, comment ça va depuis hier ? exclama-t-il.

Je répondis en souriant. Ludmilla oublia enfin le zeppelin et réagit à la présence de notre voisin. Elle tendit la main qu’il s’empressa de prendre pour l’embrasser.

-          Je vais bien, dit-elle.

-          Et votre mari ?

-          Il va mieux. (Elle me regarda et fit un clin d’œil montrant que le mot ‘mari’ l’amusait). La nuit lui a fait énormément de bien.

Tout à coup, une jeune femme sortit de la cabine. Je reconnus la poupée par ses cheveux blonds et son regard. Mais quelle fut ma surprise de la voir vivante, en chair et en os. Elle inclina légèrement la tête avant de marcher dans le couloir.

-          Ah, je ne vous ai pas présenté mon épouse, Catalina.

Je réalisai que je ne connaissais même pas le nom de notre voisin. Pendant ce temps, Catalina marcha jusqu’au bout du couloir. Elle s’arrêta devant la porte de sortie et sans peur, elle ouvrit la porte. Puis, elle se pencha tout en restant agrippée. Elle inspira profitant du vent provoqué par le déplacement du train. Sa robe légère volait, dévoilant de temps en temps ses longues jambes fines et blanches.

-          Catalina, fais attention de ne pas tomber, réagit son époux en français puis en italien.

Je l’accompagnai l’écoutant raconter leur rencontre et leur voyage de noce. Ils étaient partis de Venise, et après un arrêt pour visiter Vienne, ils comptaient voir Bucarest et Constantinople. Ludmilla retourna discrètement dans notre cabine. Un courant d’air frappa mon visage. Cependant, je restai intrigué par l’aspect vivant de la poupée. Cette dernière continuait d’apprécier l’extérieur et surtout de sentir le vent contre sa peau.

Il y avait un énorme contraste entre le brouillard visible par les fenêtres et le soleil éblouissant qu’on pouvait voir par la porte ouverte. Je me demandai si la jeune italienne n’était pas à l’origine de ce phénomène surnaturel. Elle tourna la tête pour écouter son mari avant de lui répondre par une phrase sèche et inhabituelle dans ce monde machiste.

-          Due minuti !

-          Ma…

-          Due minuti ! répéta-t-elle avec un air agacé.

Son mari demeura silencieux, regardant, un peu peiné et inquiet, la jeune femme qui profitait toujours de l’effet du vent. Elle souriait, riait. Elle gonfla la poitrine, heureuse de ce moment qui parut divin. Soudain, son homme l’attrapa par les épaules pour l’obliger de rentrer. Il grommela quelques mots. Les yeux écarquillés de son épouse le dévisagèrent, apportant de la naïveté à sa pâle figure. Et après, une courte réprimande, il enlaça son aimée et lui promettant de toujours faire attention à elle. Au début, elle resta de marbre, mais lentement, ses bras serrèrent le corps robuste de l’italien. Je les laissai, préférant rejoindre Ludmilla.

Bien que je ne comprisse pas leur langage, je devinai le sens de leur propos. Ils s’aimaient et se promettaient de ne jamais se quitter. Je fermai la porte sans la claquer afin de ne pas les déranger. Pendant ce temps, Ludmilla m’attendait. Sa robe gisait sur le sol, de même que ses sous-vêtements. Elle n’avait gardé que son corset. Ses cheveux bruns et longs recouvraient ses épaules. La main droite sur la hanche affichait son impatience. Dès lors, j’approchai et, lui faisant face, je l’embrassai avant de me mettre à genoux pour goûter au sel de sa peau. Elle gémit, enfonça ses ongles dans mon cuir chevelu. Elle s’abandonna au contact de ma bouche et de ma langue. Sans comprendre comment, nous nous retrouvâmes sur ma couchette : Elle, jouissant de moi. Et moi, essayant de lui faire plaisir et de me déshabiller en même temps.

Plus tard, épuisés, repus, nous restâmes couchés, lovés comme deux chats qui chercheraient à profiter de la chaleur de l’autre. J’humais ses cheveux, le parfum de ses épaules. Ses doigts caressaient mon dos.

-          Tu ne parles jamais de toi, chuchota-t-elle. En fait, je ne sais rien de toi.

Je mis un moment avant de répondre :

-          Je crois que je ne sais plus moi-même qui je suis.

-          Tu ne veux pas en parler ? Ich verstehe, soupira-t-elle.

-          Ce n’est pas ça… Je crois… je crois que… Parfois, mes souvenirs laissent place à d’autres. C’est comme si j’avais pris la place d’un autre et que j’oublie qui j’étais pour ce que je suis maintenant.

Elle m’écoutait. Le train produisait son tougoudoum qui interrompait son silence.

-          Pour te donner un exemple. J’étais persuadé que mes parents étaient infirmiers. En fait, je réalise de plus en plus, qu’ils étaient commerçants traiteurs et tenaient un restaurant gastronomique dans le sud de Paris, ajoutai-je. Pour moi, mes parents sont vivants mais le souvenir de la mort de ma mère est apparu soudainement. Je suis un peu perdu.

-          Je suis désolée, murmura Ludmilla.

-          Je t’aime, et c’est le plus important, répondis-je.

Alors, elle m’enlaça encore plus fortement. Nous restâmes couchés dans cette position, sans se parler jusqu’à l’heure du déjeuner.

Alex@r60 – mars 2022

 

s://alexar60.tumblr.com/post/679108995051569152/transylvanie-express-18

14 mars 2022

Transylvanie express (17)

© jardin_de_nuits

Je ne découvris rien de la Serbie ni des Balkans tellement le brouillard demeurait profondément opaque. Je m’habituai cependant à cette situation, partageant discussions et divers jeux avec Ludmilla. De plus, je parlai…enfin, j’essayai de parler en langue orientale avec quelques voyageurs, mettant en application les quelques leçons de hongrois ou de tchèque, sans y arriver. Mon amie riait toujours dès que je prononçai un mot avec mon terrible accent français. Alors, un peu honteux, je me taisais laissant mon interlocuteur dans l’incompréhension.

Le train avançait à des rythmes différents. Tantôt, il ralentissait, généralement pour traverser une gare sans s’arrêter. Tantôt, il accélérait prenant encore plus de vitesse mais freinait brusquement, souvent après une bonne demi-heure comme s’il reprenait son souffle. C’est au cours d’un de ces instants au ralenti que je remarquai de nouveau une silhouette lointaine.

Sur le coup, je crus à un arbre, mais c’était bien un humain. Il narguait la brume en l’écartant d’une invisible aura. Il restait fière, dressé et défiait ceux ou celles qui osèrent regarder dans sa direction. Elle, car c’était une femme, ne portait plus de capuche ni de bure. Ses cheveux volèrent au gré du vent, ainsi que les bords de sa robe aussi noire que sa peau.

-          Viens voir ça ! dis-je à Ludmilla en pointant mon index vers cette inconnue.

Ma compagne approcha et observa en plissant les yeux. Puis, elle tourna la tête dans tous les sens afin de trouver ce qui m’intriguait tant. Elle soupira avant de demander :

-          De quoi s’agit-il ?

-          La femme, dis-je.

Son regard insista vers l’endroit indiqué. La chose humaine remua les bras tout en penchant la tête. Sa longue chevelure continua de danser autour d’elle. Ludmilla fit une moue.

-          Oui, c’est une paysanne, affirma-t-elle. Et alors ?

La brume enferma la silhouette jusqu’à la faire disparaitre. J’essayai de continuer à la regarder malgré le déplacement du  train. Puis, elle disparut définitivement dans l’épaisse purée blanche. Ludmilla retourna s’assoir sur la couchette réaménagée en banquette. Elle reprit la lecture de son livre. Quelques cognements retentirent, provenant de la cabine voisine. Il y eut des gémissements au bord de l’extase, puis un silence qui nous fit esclaffer de rire. Cependant, je riais jaune en me rappelant le visage de la  femme-poupée. Je n’en avais pas parlé à mon amie, par peur de passer pour un fou auprès d’elle.

Les heures passaient assez vite quand j’étudiais le hongrois. J’avais à peine réussi mon exercice qu’il était déjà temps de diner. Aussi, nous quittâmes la cabine après s’être habillés. C’était une manie de Ludmilla, et en voyant les riches tenues vestimentaires des autres voyageurs dans le wagon-restaurant, je compris qu’elle voulait respecter des règles imposées par la compagnie.

Je refermai la porte lorsque celle des voisins s’ouvrit. L’homme sortit et demanda en roumain, à qui que ce soit à l’intérieur de sa cabine, si il voulait quelque-chose. Je n’entendis pas de réponse. Il claqua la porte avant de nous présenter un large sourire. Puis, il attendit que nous avancions. Il nous suivit jusqu’au restaurant. Parfois, il soufflait, signe d’un manque de condition physique, malgré ses prouesses et son physique robuste. En changeant de wagon, je gardai la porte par politesse. Il passa en me remerciant.

-          Francese ?

-          Oui, répondis-je en affichant un air surpris.

-          Je vous ai entendu parler français, dit-il. Je suis italien. De Venise. Mais j’aime voyager, et j’aime Paris.

Il marcha en suivant les pas de mon amie. A sa façon de baisser la tête, je le suspectai de mater son cul rebondi dans sa robe moulante. S’il savait qu’elle portait de fausses fesses, mode de cette époque. L’habituel serveur en blouse blanche nous accueillit joyeusement. Après, être installés, nous mangeâmes frugalement mais gras. Je pris du porc au paprika, ensuite un gros biscuit à base de saindoux et de vanille. Je pensai repartir avec l’italien mais celui-ci prit son temps, dégustant plusieurs plats comme s’il était critique gastronomique. Peu avant d’entrer dans notre wagon, Ludmilla réalisa avoir oublié ses gants. Dès lors, elle fit demi-tour me laissant entrer seul dans le couloir.

Le vrombissement répété du train ne cessa jamais et prit même de l’ampleur dans mon esprit. C’est à ce moment que j’aperçus au fond du couloir, la silhouette vue peu avant dans la campagne. Elle se dressait contre le mur, les bras ballants, les cheveux flottant dans un vent inexistant. Sa peau était de la même couleur que ses vêtements. Elle gardait la tête baissée, empêchant de voir son visage. Je restai un moment abasourdi par cette soudaine vision. Puis elle avança d’un pas maladroit, sans plier le genou.

J’étais à mi-distance entre la porte de ma cabine et celle du wagon. Par réflexe, je décidai de reculer. Elle marcha lentement. Un raclement sortit de sa gorge. Elle écarta les doigts avant de lever les avant-bras, se préparant à m’agripper. De mon côté, je continuai de reculer sans chercher à accélérer. Je marchai à sa vitesse. Je trouvai le temps long, à croire que le wagon s’était soudainement élargi. Avant de la rencontrer, j’avais passé trois portes ; j’en comptai quatre, bientôt cinq.

La chose continua de me suivre, sa voix produisait des bruits de plus en plus étranges et malaisants. C’étaient des raclements, des sifflements de personne malade. Elle leva la tête, mais des mèches de cheveux retombèrent sur son visage. Je perçus tout de même, deux lueurs blanches. En passant devant les portes des autres cabines, j’entendais le loquet se fermer m’empêchant ainsi de quitter le couloir. Je reculai toujours, impatient d’être enfin en contact avec la dernière porte. Dès lors, je tournai la tête ; elle était encore trop loin de moi.

Je n’eus pas le temps de comprendre ni de réfléchir sur la raison de cet éloignement. L’ombre était déjà en face de moi. Je sentis son odeur putride. Elle tourna la tête machinalement, comme mécaniquement tel un prédateur face à sa proie. Elle continua d’avancer en même temps que je reculais. A tout moment, elle pouvait bondir, me sauter dessus, mais elle n’en fit rien, me suivant inlassablement en tendant lentement les bras. Ses sifflements pressants et les raclements de sa gorge firent disparaitre le roulement du train.

Soudain, quelque-chose s’opposa à mon recul. Je sentis des mains froides appuyer contre mon dos. Elles remontèrent jusqu’à mes épaules. Pendant ce temps, la silhouette arrêta de marcher. Elle demeura un instant en position de statue. Ses cheveux voltigèrent dégageant ainsi sa figure. Quel choc que de reconnaitre le visage de Ludmilla.

Il était blanc, les yeux livides, les lèvres grises. Sa bouche entrouverte émit quelques râles. Je voulus hurler. Je voulus me réveiller mais je ne rêvais pas. Elle se présentait à moi, sortie d’outre-tombe. Elle continua à tendre les bras, attendant une étreinte que je refusai. Alors, elle approcha m’obligeant encore à reculer. Seulement, les mains m’interdirent de m’éloigner. Aussi, je levai à mon tour les bras afin de l’empêcher de m’enlacer. La pression fut telle que je ne sentis pas le froid envahir mon esprit, encore moins la bouche de celui qui me bloquait. Elle se colla à mon cou et d’un geste brusque, ses dents s’enfoncèrent dans ma chair.

Je n’arrivai à me débattre. Je sentis mon sang jaillir, s’extirper hors de moi. La silhouette à l’apparence de Ludmilla s’approcha enfin et me ceintura. Sa tête trouva sa place contre mon torse. Ses cheveux sentaient affreusement l’odeur du rat crevé. Elle râla pendant que l’autre aspirait mon sang. Je défaillis, fermant les paupières, persuadé que c’était pour de bon.

-          Monsieur, vous allez bien ?

La voix à l’accent italien m’aida à sortir de ma torpeur. Une vague de fumée s’échappa du couloir par une fenêtre mal fermée. Mon voisin me tenait par le dos m’évitant ainsi de tomber à la renverse. Derrière lui, Ludmilla s’inquiéta de mon état.

-          Hé, vous devriez manger plus, ajouta-t-il.

Je me ressaisis et le remerciai avant d’atteindre la porte de ma cabine. Puis, une fois entré, je me dirigeai vers la salle d’eau pour m’éclaircir les idées en rinçant mon visage dégoulinant de sueur..

Alex@r60 – mars 2022

Photo : Jardin de nuit. Auteur inconnu

8 mars 2022

Transylvanie express (16)

tumblr_c2340afe7c0f7a7b068a0d9b2c717ab6_8d3d002f_540

Ludmilla souffla au moindre cognement contre la cloison. Nos voisins, ceux qui occupèrent son ancienne cabine n’arrêtèrent pas de baiser. Soit nous les entendions hurler leur plaisir, soit leur vacarme envahissait notre tranquillité.

Elle m’aidait à comprendre la subtilité des langues d’Europe de l’est, sans y parvenir. En fait, j’étais mauvais élève jusqu’à ce que je réalise qu’il m’était impossible de parler sans un affreux accent français. Par contre, je comprenais certains mots, à condition qu’ils soient prononcés lentement. Nous étions en pleine étude, elle à côté de moi, lorsque le charmant couple d’à côté recommença ses bruyants ébats. Encore une fois, mon amie soupira, sans terminer sa phrase.

-          J’avoue qu’ils donnent envie, murmura-t-elle.

-          Et ?

J’attendais qu’elle approchât de moi et commençât à caresser ma peau. J’entendais déjà le chuchotement entre ses lèvres au creux de mon oreille ; un «déshabille-toi » ou « prends-moi ». Mais finalement, elle referma le livre qu’elle tenait dans la main en disant :

-          Heureusement que nous ne sommes pas comme eux.

Il était toujours compliqué de voir à travers la fenêtre. La brume englobait tout et je commençais à croire que ce brouillard était présent sur toute la surface de la planète. Cependant, je m’y habituais  autant qu’au bruit du train…et à celui de nos voisins. Quelques passagers marchèrent dans le couloir. Le tintement d’une cloche approcha ensuite.

-          Belgrade ! Nous arrivons bientôt à Belgrade ! Annonça une voix masculine dans différents langages.

En effet, une dizaine de minutes plus tard, le train ralentit avant d’entrer en gare. Dès lors, j’approchai de la fenêtre pour comparer les bâtiments aux précédents. Le quai était fait de bois et à ma grande surprise, il était surchargé de militaires.

Un bataillon complet au garde-à-vous se présentait à nos yeux. Chaque soldat portait ces vieilles casquettes rappelant le combattant français de 1914, celui qui partit la fleur au fusil dans un pantalon grenat et une veste bleue. Par contre, les serbes étaient affublés d’une culotte blanche. Ils avaient tous de longues et épaisses bacchantes, recouvrant le philtrum, cette partie entre les lèvres et le nez. L’arme au pied, aucun ne bougeait, en dehors d’un gradé reconnaissable par les épaulières en forme de pompon. Ce dernier cria quelques mots. Malgré son accent serbe, je reconnus du hongrois.

Soudain le son de la clochette revint en même temps que la voix masculine.

-          Interdit de sortir ! compris-je en l’écoutant.

L’homme de la cabine voisine ouvrit sa fenêtre et s’adressa aux militaires. Un sous gradé répondit. Dès lors, il claqua sa fenêtre et sortit précipitamment de sa couchette. Quelques éclats de voix retentirent dans le couloir, à cause des personnes ne comprenant rien à ce qu’il se passait. Ludmilla ouvrit la porte laissant entrer la discussion qui ressemblait plus à une engueulade.

Au bout du wagon, ils étaient plusieurs à encercler le contrôleur. L’employé serrait fermement la cloche dans la main droite. Son visage blafard, son sourire grimaçant, ses yeux écarquillés, affichaient sa détresse. Il avait du mal à expliquer pourquoi nous ne pouvions pas sortir du train. Je reconnus le voisin à sa voix. C’était un type de petite taille et au gabarit râblé. Nous approchâmes afin de connaitre la raison de leur discussion.

Lorsque je remarquai la porte ouverte de la cabine voisine, en m’arrêtant devant, je ne pus m’empêcher de jeter un rapide coup d’œil. La cabine ressemblait à la nôtre, à l’exception de la couchette et la salle d’eau, situées à l’opposé.

Ludmilla avança afin de participer à la conversation. Je les regardai débattre. Les uns parlant en levant les yeux en l’air, comme s’ils sollicitaient le saint esprit pour leur venir en aide. Les autres baissant le regard, la mine encore plus triste qu’avant. Et le pauvre employé du chemin de fer qui haussait les épaules, expliquant du mieux qu’il pouvait une fatalité dont il était aussi victime.

Un étrange râle provenant de la cabine, m’intrigua tout à coup. Je remarquai à travers la fenêtre la silhouette noire, ombre chinoise, dessinée par la gare. Le gémissement recommença, se faisant plus intense. Je me demandai si la femme du couple allait bien. Un nouveau râle, cette fois-ci plus sifflante, me poussa à entrer afin de m’assurer qu’elle n’avait pas besoin d’aide. De plus, l’homme, le dos tourné et trop occupé, ne me voyait pas.

Une fois entré, et les entendant toujours discuter, j’avançai doucement, espérant ne pas déranger. Ce n’était pas dans mes habitudes que de pénétrer l’intimité des gens, mais j’avais en moi, ce vif sentiment qu’elle était en danger. J’avançai d’un pas, puis de deux avant de distinguer sa présence. Au troisième pas, je fus stupéfait de me trouver confronté à un mannequin vêtue d’une vulgaire robe de mariée.

Les articulations de ses membres étaient faits de bois peint en rose. Tandis que les jambes, les bras ressemblaient à des morceaux de plastique, bien que je n’eus pas le temps de reconnaitre leur réelle composition. Je fus surtout choqué par sa posture, la jambe droite pliée à l’envers : Position impossible pour une personne humaine, même souple ! Sous une perruque rousse, son visage demeurait complètement figé.

Ses lèvres entrouvertes laissaient apparaitre le bord de ses dents anormalement blanches. Elle gardait les yeux ouverts telle une poupée qu’elle était. La discussion continuait dans le couloir. La voix de Ludmilla résonna, elle avait haussé le ton pour être écoutée.  Puis, ce fut de nouveau un ramdam impossible, une cohue de mots et de phrases incompréhensibles. La poupée fixait la porte de la salle de bain. Puis, d’un geste brusque, les pupilles de ses yeux se déplacèrent… elle me regardait.

Je sentis mon cœur jaillir au point de reculer d’un pas. Dès lors, un geignement long et strident sortit de sa bouche. Elle semblait essayer de parler. La discussion changea de ton et devint plus calme, aussi je préférai quitter rapidement la cabine. Je laissai la poupée vivante à sa place et à son étrange sort. Elle râla encore. Je m’éloignai pour prendre part à mon tour à la discussion. Lorsque j’approchai de Ludmilla, elle  m’expliqua la situation.

-          Les militaires sont là pour nous interdire de quitter le train. Ils feraient ça à tous les trains qui viennent d’Autriche-Hongrie.

-          Un risque de  guerre ? demandai-je

-          Non ! C’est à cause du mal des méninges. Ils ne veulent pas de contagion, affirma-t-elle.

Une fois le calme arrivé, le contrôleur reprit son chemin en faisant sonner la cloche. Nous le suivîmes jusqu’à notre cabine. Ludmilla entra la première. Avant de la rejoindre, j’observai notre voisin entrer dans la sienne. Son teint bronzé sentait la Méditerranée. Je repensai aux automates de Venise. L’homme afficha un large sourire en signe de salut puis disparut après avoir fermé la porte.

Une fois les réserves remplies, le train repartit en laissant le bataillon attendre le prochain convoi. Le bruit des rails reprit son rythme quotidien. Ludmilla proposa de reprendre la leçon. Elle espérait m’entendre dire une phrase complète en tchèque ou en hongrois, avant la fin du voyage. Elle lut doucement, attendant parfois que je répète ses mots. Puis, elle soupira lorsque nous entendîmes un cognement contre le mur, suivi de couinements. Parce qu’il n’y avait plus rien de romantique dans leurs gémissements.

Alex@r60 – mars 2022

19 février 2022

Transylvanie express (15)

tumblr_a48bd47ccd2da3c3c39b9477cfe3d945_af2256a5_1280

-          Quel est ce bruit ?

J’essayai de voir par la fenêtre la provenance du vacarme. Il surpassait de plus en plus le roulement du train. Cependant, le brouillard cachait toujours le paysage. Il était si épais, qu’on ne voyait rien de la campagne ni des forêts voisines. Pourtant, on devait apercevoir au moins quelque-chose. Je remarquai quelques têtes dépasser des fenêtres ; elle regardaient en l’air. Le grondement s’approcha de plus en plus, comme si le ciel était en colère.

-          Là ! Cria Ludmilla en montrant du doigt ce qui parut être un nuage.

Il était noir et avançait à un rythme soutenu. Le train continua de rouler. Le vent frottait mon visage, m’obligeant parfois à cligner des yeux. Le nuage approcha encore et encore dans un brouhaha de moteurs à hélices. Dès lors, je vis les premiers aérostats. Il y en avait plusieurs centaines. L’armada passa au-dessus du train, assombrissant d’un coup le ciel. En quelques secondes, nous nous retrouvâmes comme en pleine nuit.

-          On dirait qu’ils vont à Vienne, pensa Ludmilla.

Comme elle se pencha un peu plus, je la retins par peur qu’elle ne tombât. En même temps, j’observai les dirigeables dont certains présentaient une large nacelle de bois et de métal ; et à l’arrière desquelles, quelques drapeaux flottaient. Le convoi s’éloigna ainsi que le bruit assourdissant des moteurs.

-          C’est quoi, c’est la guerre ? demandai-je.

-          Je ne crois pas. Il n’y a plus de conflit en Europe depuis longtemps, répondit-elle.

Le nuage noir rétrécit lentement en s’enfonçant dans l’épaisse brume. Puis, elle disparut en ne laissant qu’un vague bourdonnement répétitif. Le tougoudoum du train reprit sa place. Ma nouvelle compagne profita de ma couchette pour continuer sa lecture. Le roman la passionnait au point de sursauter sans prévenir. Je compris que c’était une énième version cauchemardesque du petit chaperon rouge. Comme le livre était écrit en allemand, je n’essayai même pas de m’y intéresser. Je préférai observer par la fenêtre, cherchant à voir ou nous pouvions nous situer.

Tout à coup, un brutal coup de frein m’obligea à valser contre le mur. La penderie s’ouvrit, un énorme cognement provenant de la cabine voisine résonna. Son occupant marmonna fortement. Alors, je descendis la fenêtre afin de mieux voir la raison de cet arrêt improvisé au milieu de nulle part. Ludmilla posa le bouquin sur mon oreiller avant de me rejoindre. En penchant la tête, sa poitrine se dessina contre le carreau. Tout le monde fit de même, laissant apparaitre leurs  têtes et leurs bras. Je remarquai un homme sortir de la brume et s’approcher tout en longeant les wagons. Il portait un uniforme de chef de gare. Dans la main droite, il tenait une lanterne qu’il balançait à chacun de ses pas. Il répétait sans cesse dans plusieurs langues d’Europe centrale:

-          Pour raison de contagion, le train est détourné vers Belgrade.

-          Mon dieu ! s’exclama en français une dame. Comment on va faire pour aller à Temesvar ?

-          Temesvar interdit, répondit l’employé du chemin de fer. A cause mal des méninges !

Il passa en répétant ses phrases, sans saluer personne. Un autre cheminot le rejoignit en courant puis s’arrêta pour répondre aux questions. J’écoutai du mieux que possible. Ludmilla interpela en hongrois le garçon à moitié essoufflé. Ils échangèrent quelques mots, puis il repartit retrouver son collègue.

-          C’était ça, les dirigeables ! Apparemment, ils ont évacué une grande partie de la population de Temesvar.

-          En ballon ? Pourquoi pas par la route ?

-          Tu ne connais vraiment pas le mal des méninges ! Cette saloperie est terrible et même à dix mètres d’un malade, tu risques la mort, murmura-t-elle.

Elle referma la fenêtre sans porter attention à mes doigts posés sur le bord. J’eus l’esprit de les retirer à temps. Ensuite, elle s’assit de nouveau sur ma couchette.

-          Le train va toujours à Bucarest, annonça-t-elle. J’espère que Brasov n’est pas touché. Sinon, ton voyage n’aura servi à rien.

Elle s’allongea après avoir poussé le livre. Bien qu’elle gardait les genoux relevés. Sa robe recouvrait encore ses pieds. Nous parlâmes un peu de la situation, de sa crainte pour le mal des méninges. Puis, elle reprit sa lecture. Après un bon quart d’heure, le train repartit, laissant les deux cheminots sur place ; leur rôle était de prévenir les prochains trains et de les aiguiller sur une autre route.

Certainement à cause du changement de direction, le train avança plus lentement. Ainsi, je pouvais voir les gares, les lumières des chaumières dès que nous passions à proximité d’un village. J’arrivai à mieux contempler le paysage malgré la brume toujours présente. Le train traversa une première gare sans s’arrêter. Il y avait quelques personnes surpris par notre passage. Ils regardèrent le train avec étonnement. Ensuite, il y eut une seconde et une troisième gare. Elles étaient silencieuses. Quelques gens patientaient assis ou debout sur le quai. Le train ne s’arrêta pas non plus, tout comme pour la quatrième gare, où je découvris une jeune femme attendant sur le quai.

Elle n’était pas seule mais elle était proche de la voie. Elle portait un long chapeau de paille et une robe à fleur qui contrastait avec les flocons de neige fondus en train de tomber. Elle gardait la tête tournée vers la droite, attendant telle une statue qu’on vienne la bousculer. Le train passa lentement, pourtant, son souffle fit voltiger les plis de la robe de la jeune femme. Derrière elle, les autres, ne bougeaient pas, façonnant la gare en forme de tableau. Cependant, un homme marchait. En fait, il tournait continuellement en cercle. Sa bouche remuait sans qu’aucun mot ne puisse sortir. Un autre homme en tenue de paysan courut tout à coup vers le train et sauta, s’écrasant comme un insecte en pleine nuit sur une lumière, avant de tomber sur les rails. Personne n’intervint pour le secourir ni ne fut effrayé par l’accident. Le roulement du train cacha le craquement des os et des chairs.

Aussitôt, le visage de la femme se figea en une terrible grimace. Elle aussi remuait la bouche sans prononcer de mot. Ses yeux exorbités indiquaient qu’elle était consciente mais elle n’arrivait pas à sortir de sa torpeur. Ses mains se contractèrent, serrant encore plus fort son sac. Elle ouvrit la bouche en grand, gardant cette position quelques secondes avant de la refermer subitement et de marmonner à nouveau silencieusement. Elle ne regarda jamais le train qui avançait lentement. Je vis un autre paysan sur le quai. Celui-ci n’approcha pas du train, restant à sa place. Par contre, il secouait continuellement la tête dans tous les sens. Lorsque Ludmilla vit la jeune femme, elle remplit tout à coup ses poumons avec une grande bouffée d’air.

-          C’est ça, le mal des méninges ! dit-elle en montrant du doigt la femme au chapeau. Tu ne contrôles plus ton corps, tu es paralysé ou tu marches n’importe comment. Tu fais n’importe quoi ! Et à la fin tu meurs, parce que la maladie qui te contrôle te dévore littéralement le cerveau.

Le train s’éloigna du quai. Je regardai cette pauvre femme qui ne tourna jamais la tête, regardant toujours à sa droite. A ce moment, je ressentis une énorme compassion pour elle. Derrière elle, l’homme continuait de tourner en rond. Les lumières laissèrent place à celles d’une ville. En prêtant plus attention, je réalisai qu’il n’agissait pas d’une ville mais d’un hameau dont les maisons brulaient…Au loin, plusieurs lumières indiquaient la présence d’autres incendies dans les villages voisins.

Dans ce monde, on désinfecte tout avec le feu !

Alex@r60 – février 2022

18 février 2022

Transylvanie express (14)

tumblr_a2178477af76d78c98f2dc1f612a5682_09af04cd_540

La douleur à l’épaule m’obligea à ouvrir les yeux. Je n’étais plus dans le train mais dans un lit au milieu d’une chambre blanche. Je n’étais pas seul ; à côté de moi, une jeune femme semblait dormir. Sa peau blanche, les lèvres rouges comme le sang, ses cheveux noirs comme les corbeaux rappelèrent le conte de Blanche Neige. Etendue sur le dos, elle attendait sagement le baiser du prince charmant.

Une fenêtre apparut brusquement sur le mur. Je vis un paysage de forêts encerclant un château au somment d’une montagne. Ce n’était plus Blanche Neige, mais la Belle au bois dormant, car il y avait dans cette forêt lointaine, une atmosphère brumeuse pleine d’angoisse. Je clignai des yeux, espérant éloigner cet étrange songe. Hélas, il ne se passa rien ! Alors, j’attendis sagement, regardant la belle endormie… ou morte. Parce que rien d’indiquait si elle était encore en vie.

Plusieurs voix retentirent tout à coup. Cependant, je ne reconnus aucune d’elles. Elles semblèrent provenir de si loin. Puis une main approcha lentement de la jeune femme. Ses doigts longs et griffus effleurèrent sa peau sans, pour autant, la réveiller. La main se balada le long de son visage, avant de caresser sa gorge nue et offerte. Elle entrouvrit les lèvres, gémissant au contact des ongles pointus. Mais, elle n’ouvrit jamais les yeux ni ne prit conscience de ce bras monstrueux qui volait au-dessus d’elle.

Je n’arrivai pas à voir le propriétaire de ce bras. Était-ce un ours, serait-elle Boucle d’or ? Non ! Ses cheveux sont bruns, et la main est celle d’un monstre, pas d’un animal ! De plus, il m’était impossible de remuer. J’étais paralysé, bloqué, allongé sur mon épaule. J’entendis des pas approcher derrière moi. Quelque chose, frôla mon dos faisant parcourir un énorme frisson dans tout mon corps. Je voulus hurler mais rien ne sortit de ma bouche.

Pendant ce temps, la main se posa sur la face de la jeune femme. Elle demeura inerte, la bouche et le nez masqués par cette main telle une araignée aux pattes déployées. Toutefois, les poumons de la femme gonflaient et dégonflaient normalement. Il y avait comme de l’apaisement, à les regarder déployer la couverture. Ensuite, une voix stridente me fit sursauter, au point de quitter mon corps endolori et immobile.

Je flottai dans la chambre, j’observai cette personne qui frottait mon dos. Elle approcha la tête de ma nuque, la renifla, et sans prévenir, ouvrit la bouche pour y enfoncer des crocs aiguisés. Je vis mon corps se tortiller dans tous les sens pendant que l’autre dégustait mon sang à pleine bouche. J’observai calmement, en fixant cette personne, jusqu’à ce qu’elle arrêtât et levât le regard. Je reconnus ses yeux rouges, ses dents distordus, son nez troussé et son front ridé. Je reconnus la bête du train. Celle qui m’avait accosté une nuit dans mon monde, et qui profitait de moi pendant que je dormais.

Lorsque j’ouvris les yeux, Ludmilla venait de sortir de la salle d’eau. Elle n’avait pas allumé pour ne pas me réveiller. Elle entendit mon bras bouger. Dès lors, elle ne remonta pas dans sa couchette et s’assit au bord de la mienne ; timide, elle n’osa pas me parler. Je soupirai avant de me redresser. Nous nous embrassâmes gentiment, comme un couple introverti. Vous savez, ces baisers qu’on fait parfois pour rappeler qu’on aime l’autre.

- Tu ne dors pas ? demandai-je.

- Les voisins m’ont réveillée. Ils n’arrêtent jamais !

Elle caressa ma barbe naissante. La veille, elle s’était plainte qu’elle piquait. Mais, étonnamment, elle aimait la toucher du bout des doigts. Elle disait avoir l’impression de caresser un hérisson. Comme je n’en ai touché aucun, je ne peux faire la comparaison. Notre silence effaça le roulement du train. J’enfonçai ma main dans sa longue chevelure, utilisant mes doigts comme un peigne. Les siens continuèrent de parcourir ma joue avant de descendre le long de mon cou. Je sentis un frisson, repensant à la main monstrueuse de mon rêve.

Sa main se faufila ensuite sous ma chemise pour se promener sur ma poitrine. J’approchai pour l’embrasser de nouveau. Puis, je l’invitai à coucher près de moi. Nous étions devenus des adolescents alors que nous connaissions tout de l’autre. Elle se laissa faire, m’aidant parfois à la déshabiller. Elle soupira, gémit au moindre de mes contacts. Elle enlaça ma tête quand je baisai ses seins ; elle chercha parfois mon sexe, espérant qu’il devienne dur. Et dès qu’elle le prit en main, elle écarta les cuisses afin de lui offrir sa vulve devenue humide.

Le train ralentit, apportant sa cadence à mon rythme. Doucement, ses jambes ses croisèrent autours de mes fesses pour mieux m’enfoncer en elle. Ses ongles commencèrent à griffer mon dos. Elle jouissait de moi comme je jouissais d’elle. Nous étions en harmonie. A la fois douce, elle embrassait ma peau du bout des lèvres. A la fois chaude, son sexe enserrait le mien. Et à la fois timide, elle me laissait prendre les rênes de nos ébats.

Puis, elle me bouscula brutalement, m’obligeant à me positionner sur le dos. Sa vaillance me surprit, d’autant qu’elle n’avait jamais cherché à s’imposer, préférant une position du missionnaire ou celle d’une classique levrette. Mais, cette nuit, elle décida de me chevaucher. Dès lors, je regardai, appréciant aussi bien des yeux qu’avec des caresses, son buste dénudé pendant que ses reins dansaient sur mon bas-ventre. Elle égratigna ma poitrine tout en tirant sur ma toison. Elle se pencha de temps en temps pour embrasser ma gorge ou mes lèvres, puis elle relevait les épaules, laissant ses seins se balancer. A ce moment, le sommet de son crane frôlait sa couchette.

Petit à petit, ses petits sourires d’excitation se transformèrent en d’étrange grimaces. Sa peau blanchit étrangement, se desséchant à vue d’œil. Des rides apparurent sur son front. Son nez s’enfonça dans son visage. Sa beauté laissa place à une horreur indescriptible. Elle n’était plus Ludmilla, elle était devenue une harpie.

Plus, je me sentais partir, plus elle paraissait s’enlaidir. Cependant, je n’arrivai pas à m’éloigner, ni à prendre peur de sa nouvelle apparence. Ses ongles transformés en griffes tailladèrent mon torse. A peine mon sang coulait, qu’elle approchait la tête pour le lécher d’une langue longue et fourchue. Et quand elle relevait la tête, je remarquais ses cheveux changés en serpents dansant et sifflant dans les airs.

Sa chevauchée sur mon corps perdura. Plusieurs fois, je crus jouir, mais elle s’arrêtait au bon moment, me dévisageant avec des yeux rouges et terrifiants. Ils brillaient dans l’obscurité de la cabine. Ensuite, elle reprenait son hystérique cavalcade, s’empalant sur ma bite toujours raide.

Elle laboura encore et encore ma poitrine. Elle dépeça ma chair jusqu’à enfoncer ses griffes dans mes poumons. Déchainée, elle continua de profiter de mon corps. Et vint enfin le moment libérateur. Je sentis mon sexe se vider en gesticulant en elle. Elle cria un hurlement perçant. Sa bouche ouverte montra des dents couvertes de mon sang, qui recouvrait aussi son menton.

Elle s’effondra sur moi. Ses cheveux reprirent leur apparence. Son corps retrouva sa chaleur ainsi que sa couleur rose. Elle sentait la sueur parfumée à la vanille et à la fleur d’oranger. Ses doigts enlacèrent mon visage. Je n’avais plus mal à la poitrine. D’ailleurs, lorsqu’elle se releva, je n’avais plus de trace de son agressivité, si ce n’est quelques trainées rouges. Elle me sourit, comblée heureuse. Elle pinça la lèvre supérieure entre ses dents redevenues normales. Enfin, elle se positionna à côté de moi, cherchant à s’endormir comme elle le faisait avant d’abandonner son époux.

Je ne m’endormis pas immédiatement. J’écoutai d’abord le train en repensant à son apparence. Je me demandai si c’était une illusion, un délire et pourquoi je n’avais pas eu peur d’elle. De temps en temps, j’observai la cabine calme et obscure. Aussi, peu avant de fermer les yeux, je remarquai une minuscule lumière. C’était un des trous faits par son mari et oublié d’être rebouché. J’observai le trou et compris que la lumière était, en fait, l’éclat d’un œil.

Alex@r60 – février 2022

15 février 2022

Transylvanie express (13)

tumblr_a1d10dd71d3abbabda9a3ef994586347_833ca2cc_500

On était loin des smartphones et autres portables derniers cris ; j’avais dans la main un combiné en métal, dans lequel j’entendis une voix criarde et lointaine, celle d’une femme qui me demanda d’attendre. Quelques secondes plus tard, le temps de sourire au contrôleur qui m’avait accompagné, un ‘allo’ résonna brièvement.

- C’est Yannick ! annonçai-je.

- Alors, tu es arrivé ? demanda une personne que je devinai être Joseph.

- Non, je suis en gare de Budapest. J’appelle pour un renseignement. J’ai droit à un budget de combien ?

- Pff… je ne sais plus et je n’ai pas le chiffre en tête. Je pense que c’est comme d’habitude. Pourquoi ?

Ne sachant ce à quoi ‘comme d’habitude’ correspondait. Je décidai d’aller au culot.

- Je ne voyage pas seul. Cela peut être pris en charge ?

- Bien sûr ! C’est même prévu, répondit mon supérieur. D’ailleurs, je suis surpris que tu n’en as pas parlé avant ton départ.

Il expliqua rapidement le système de chèques au nom de la bibliothèque dont j’étais en possession. Ainsi, je pus officialiser Ludmilla comme assistante. Joseph exprima ensuite son impatience à propos de mon résultat sur le livre. Il me souhaita un bon voyage avant de demander s’il connaissait la personne qui voyageait avec moi. Je ne répondis pas, préférant me contenter d’un « A bientôt » avant de raccrocher. Je suivis ensuite le contrôleur, un jeune hongrois qui parlait français avec un fort accent. Il servit de traducteur entre le guichetier et moi. Je découvris qu’un appel téléphonique coûtait plus cher qu’un billet de train.

Avant de partir, le guichetier adressa quelques mots qui fit pâlir l’employé du train. Ce dernier signa une croix à l’aide de ses doigts sur son visage et son ventre. Nous quittâmes le hall bondé de passants en tout genre. La plupart était des hommes aux habits feutrés, apparemment la dernière mode de Budapest. Sur le quai, Ludmilla attendait en discutant avec une dame. La femme aux cheveux blonds tressés me souhaita le bonjour en allemand avant de monter dans le wagon. Je laissai passer mon amie puis grimpai à mon tour. Sa longue robe balayait le sol. Par moment, elle remontait légèrement les plis, montrant ainsi des escarpins vernis.

Le contrôleur nous suivit jusque devant la porte de notre cabine. Il poinçonna le billet acheté et repartit en montrant un sourire légèrement forcé. A peine, il fit dix mètres qu’il se retourna brusquement.

- Vous allez bien jusqu’à Brasov ? questionna-t-il.

- Oui ! répondis-je.

- je dois informer que le mal des méninges sévit dans cette région.

- Oh mon dieu ! exclama Ludmilla.

- je viens d’apprendre quand vous avez acheté billet, ajouta-t-il dans un français maladroit.

Nous rentrâmes dans la cabine. Ludmilla soupira, regrettant presque de continuer le voyage. Je rangeai mon manteau. Le cri d’un chef de gare annonça le départ. Immédiatement après, le train commença à rouler.

- C’est quoi le mal des méninges ? La méningite ?

Elle me regarda avec des yeux effrayés. Elle dévêtit son manteau et me le donna afin de le ranger à côté du mien. Puis, elle s’assit sur la couchette. Son air triste m’incita à m’approcher.

- C’est une maladie aussi dangereuse que la peste ou le choléra. Elle transforme les gens en une sorte de… Ils ne sont plus responsables de leurs gestes et ne font que marcher jusqu’à en mourir…C’est contagieux.

- On peut soigner cette maladie au moins ?

- Non ! On peut juste en mourir. La maladie mange le cerveau. Ceux qui survivent deviennent fous ou finissent dans le coma, ajouta-t-elle. (Elle inspira fortement) Quand j’étais petite, l’épidémie avait détruit la moitié de la Prusse et de la Russie.

Je préférai ne plus parler de cette maladie. Aussi, pour patienter, je proposai de rejoindre le wagon-bar restaurant pour une partie d’échecs avant de diner. Le train accéléra. Toutefois, je pouvais voir pour la première fois depuis le début de ma présence dans le train, un coucher de soleil. Ainsi, durant le trajet, j’appréciai de voir ce mélange de couleurs orange jaune rose et rouge qui, effaçait doucement un gris et un blanc devenus quotidien. Le soleil reprenait enfin sa place !

Nous croisâmes quelques voyageurs aux sourires sympathiques, charmés par notre couple ou juste heureux de prendre le train. Ludmilla répondait toujours par un sourire accompagné le plus souvent d’un timide « Guten tag !». Elle parlait rarement en français dans le train.

Une fois dans le wagon restaurant, le serveur proposa notre table habituelle. Je m’assis, demandai une vodka et un échiquier, tandis que Ludmilla réclama un verre de vin blanc autrichien. En attendant le retour du garçon, j’observai le paysage composé de champs à perte de vue. Par moments, la fumée basse de la locomotive vint à cacher la campagne avant de se dissoudre rapidement. Le domestique revint ; il déposa en même temps que nos consommations, un boitier que Ludmilla ouvrit, formant la plateforme du jeu d’échec. Dès lors, je levai mon verre et proposai à mon amie de trinquer.

- A ma jolie assistante ! dis-je.

Les verres s’entrechoquèrent légèrement sans que nous nous quittions des yeux. Puis, je portai son contenu à mes lèvres, ressentant dès la première gorgée, le goût fort et brulant de l’alcool. Ludmilla engagea les blancs sur l’échiquier. Elle commençait toujours par avancer, les deux pions devant le roi et la reine, de deux cases. Je préférai sortir les cavaliers afin d’essayer de perturber sa stratégie. La partie dura un bon moment avant de voir les premiers pions tomber.

Pendant ce temps, je continuai d’admirer le paysage et son ciel si lumineux qu’on pouvait le croire en feu. Je remarquai un ralentissement brutal du train, si bien que je crus faire du surplace. En fait, le conducteur attendait patiemment le passage d’un autre convoi en sens inverse. Ce dernier s’annonça par un vif sifflement qui me fit sursauter.

Je regardai les wagons défiler dans un rythme lent. J’aperçus les visages, les positions des passagers, pratiquement tous assis sur des banquettes en cuir. Ils lisaient, discutaient ou dormaient la tête collée contre le carreau. Le train n’avait rien de particulier jusqu’à ce que je visse une forme noire et effrayante.

L’ombre se dessina sur la fenêtre d’une porte, prête à quitter le train. Elle regarda dans ma direction. Son visage plat ne refléta qu’une surface noire et, deux petits points rouges lumineux rappelant les yeux d’un loup en quête d’une proie, au milieu d’une forêt enneigée. Toutefois, je distinguai ses bras à la fois frêles et épais. La chose m’observa en me défiant de son regard invisible. Bien que son train s’éloigna du mien, j’avais toujours l’impression qu’il me dévisageait.

Ludmilla n’avait pas remarqué cette personne étrange. Elle attendit patiemment son tour, et voyant mon air distrait par l’extérieur, elle m’interpela en claquant ses doigts sous mon nez.

- C’est à toi de jouer ! dit-elle.

Je retournai dans la partie. Cependant, mon esprit était encore occupé par cette vision fantastique. D’ailleurs, après quelques tours, je continuai à réfléchir sur cette chose aperçue brièvement mais suffisamment pour me choquer. Soudain, tandis que mon amie annonça fièrement que j’étais échec, un visage trouva sa place sur la face lisse de la silhouette noire du train. C’était un visage durci par d’énormes bosses, un nez retroussé, presque inexistant, des oreilles écartées, une bouche large aux lèvres tailladées, et des dents tordues et aiguisées. Je regardai Ludmilla dans l’attente d’une défense de mon roi.

- Tu dois sacrifier ta reine, murmura-t-elle en présentant un large sourire.

Constatant qu’elle avait raison, je m’inclinai.

Alex@r60 – Février 2022

Photo : Just another sunrise par Matthew Malkiewicz

8 février 2022

Transylvanie express (12)

tumblr_o41co08WHa1v2qet5o1_500

Je profitai d’être seul pour relire quelques lettres concernant mon affaire. Elles furent rédigées par un certain Klaus Möller, docteur en histoire médiévale à l’université de Vienne. Il écrivait sur un livre qu’il nomma de ‘Göttliche’. Je regrettai ne pas avoir accès à internet pour mieux cerner le mot et surtout, le personnage. Toutefois, dans un courrier adressé par mon supérieur, un certain Joseph Marchois, L’historien autrichien était une pointure dans son domaine, et, il était surprenant qu’il fasse appel à une aide extérieure, pour une telle expertise. J’avais beau essayer de comprendre tout ça, je n’arrivai pas à me faire à l’idée que j’avais pris la place d’un autre ; tôt ou tard, cela se verra par mon incompétence.

Cependant, j’avais en tête une idée précise du physique de mon chef. Joseph Marchois était un bonhomme jovial, au ventre bedonnant. Il aimait la bonne chair. D’ailleurs, il recevait toujours dans son bureau, avec de quoi grignoter ou boire. Petit-à-petit, je réalisai travailler pour le Louvre, plus précisément, pour sa bibliothèque, qui était considéré comme étant la plus complète du monde.

Malgré les roulements du train, j’entendis mes voisins discuter. Le nouveau couple avait pris ses aises. Ils parlaient toujours fortement, attirant encore plus mon attention. Ce n’étaient pas des cris ni des hurlements, mais des sortes de jeux et des rires… Enormément de rires ! J’observai le mur, tel un écran éteint. Toutefois, je devinai leurs gestes, à l’image des personnages en forme d’ombres chinoises. Ils bougeaient, petit théâtre improvisé, jusqu’à ce qu’une étrange lueur, attira mon regard.

Pour la première fois, j’aperçus un trou dans le mur. C’était un de ces fameux trous, fait par le mari de Ludmilla. Il était si évident, si visible, que je ne compris pas comment j’ai pu ne pas le remarquer auparavant. La lumière traversait le trou en formant un cylindre de poussières volantes. J’approchai lentement, et timidement, j’essayai de percevoir quelque-chose dans la cabine voisine. Ne voyant rien de particulier, j’avançai de plus en plus, jusqu’à coller mon œil au trou.

Le jeune couple discutait dans une langue qui m’était inconnu. Allongé sur la couchette, lui riait et parlait tout en faisant des gestes des mains. Elle ne montrait que le dos dénudé dans une robe blanche et rose. Apparemment, une robe de mariée en mousseline. Elle retira sa robe, dévoilant des fesses blanches et fermes. Puis elle se jeta sur le lit, rejoignant son époux dans un énorme fou-rire. Ils s’embrassèrent entre chaque gloussement. Elle décoiffa ses cheveux, les laissant retomber jusque sur le matelas, avant d’enlacer son homme. Il soupira, ria, et s’allongea entièrement sur la couche, la laissant faire ce qu’elle voulait de son corps.

Le rideau fermé de la chambre apporta une luminosité sombre et rouge à la cabine. Elle baissa la tête, colla son visage entre les cuisses de l’homme et réussit à lui soustraire un râle long et amoureux. Il prononça quelques mots, que je reconnus être un patois germanique. Puis, il se détendit, caressant les cheveux de son épouse. Dès lors, elle remonta doucement son corps, pour le couvrir de nouveau. La pointe de ses seins traça une route sur la peau rouge du jeune homme. Elle embrassa ses lèvres ; leurs langues bataillèrent hors de leur bouche. Ensuite, elle embrassa son menton et descendit vers sa pomme d’Adam. Il ria. Je distinguai son sourire qui s’effaça lentement pour devenir une grimace indescriptible.

Ses mains essayèrent de la repousser, mais elle s’agrippa. La peau de son torse et de ses épaules brunit soudainement. Elle continua de s’abreuver jusqu’à l’endormir. Ses bras cessèrent le combat, le gauche pendit dans le vide, pendant qu’elle léchait le sang sortit de sa gorge ouverte. Brusquement, elle tourna la tête, affichant une bouche pourpre, des yeux de la même couleur. Je reconnus la fille du train, celle de mon cauchemar ! La face horriblement défigurée par des protubérances, elle me défia de son regard démoniaque.

Devant ce spectacle, je reculai brutalement, espérant ne pas la revoir. Soudain, la porte s’ouvrit ! Ludmilla entra en retirant son manteau qu’elle jeta sur la couchette.

- Ca y est, je suis légalement autorisée à voyager jusqu’à Bucarest. Le contrôleur a pris mes papiers, et tu devras, si tu es toujours d’accord, payer au guichet quand nous arriverons dans la prochaine gare.

Elle me dévisagea comprenant qu’il y avait un problème. J’essayai de ne rien montrer de ma peur, seulement, ma peau blanchit par la terreur, mon regard angoissé, ma forte respiration furent impossibles à cacher. Lorsqu’elle remarqua le trou dans le mur, elle pinça les lèvres, se sentant soudainement coupable de ce que je venais de voir. Elle murmura quelques excuses avant de tourner les yeux inquiets vers le trou ; Un fracas venait de résonner dans l’autre pièce. Dès lors, elle jeta un œil à son tour. Son visage afficha un large sourire. Elle continua de regarder tout en disant :

- Tu n’as pas honte de jouer au voyeur ? Ils sont vigoureux, ils ont quasiment défoncé la couchette.

Un peu surpris, j’avançai. Ludmilla laissa la place et je découvris le couple en plein ébat. Elle grimpait son amant, ses fesses montaient et descendaient guidées par les mains du garçon toujours en vie. Les doigts de la femme caressaient fermement la poitrine du gaillard laissant parfois ses ongles s’enfoncer dans une toison abondante. Elle jouissait, continuant à chevaucher le corps du marié qui l’arrêta subitement. Dès lors, elle allongea sa poitrine sur la sienne et durant quelques secondes, leur fougue laissa place à la tendresse avant de repartir pour une nouvelle chevauchée érotique. Je regardai Ludmilla au visage à la fois souriant et moqueur. Elle ne dit plus rien, préférant ranger son manteau dans la petite penderie. Elle découvrit le dossier et les lettres posés sur la commode. Elle hésita à les lire, jetant un rapide regard timide.

- Laisse les donc tranquille, dit-elle.

- Je vais demander à reboucher ce trou. Il y en a d’autres ? Demandai-je en en cherchant d’autres sur le mur.

Elle haussa les épaules pour signaler qu’elle n’en savait rien. Puis, elle s’assit sur le lit après avoir observé par la fenêtre que le brouillard n’était toujours pas désépaissi. On approchait de Budapest. Le couple cogna contre le mur tout en gémissant. Nous éclatâmes de rire. Je m’assis ensuite sur le lit et repris la lecture des courriers envoyés par Klaus Möller. Ludmilla me regarda avec insistance.

- Comment vas-tu me présenter par la suite ? comme un couple, des jeunes mariés ?

- ça a son importance ? questionnai-je.

- Oui ! Je risque quelques problèmes si je suis considérée seule. On peut prévenir Drahomir. Il reste toujours mon mari.

- Et si tu étais mon assistante ? Ma secrétaire ? C’est possible ?

Elle prit ma sacoche de travail, fouilla dedans pour en sortir un cahier et un stylo bille à cartouche. Elle croisa les jambes et se prépara à rédiger des notes.

- Je vous écoute, Herr Doktor !

Le couple interrompit le jeu de mon amie en cognant de nouveau contre le mur. Cette fois-ci, leur gémissement se transforma en un hurlement harmonieux et définitif. Je crus même entendre leur respiration fatiguée et repue, leur sueur couler le long de leur corps ainsi que les derniers baisers pour se congratuler de leur amour. Ludmilla observa la pointe du stylo en métal. Son bouchon présentait quelques dorures.

- Tu sais que cet objet est originaire d’ici ? interrogea-t-elle. Son inventeur est hongrois.

- Je croyais que c’était français, répondis-je.

- Hé non, c’est hongrois, crée par un Laszlo Biro ! affirma-t-elle en gonflant la poitrine.

Il y avait dans son regard, un certain plaisir à dévoiler ses connaissances. Ensuite, reprenant ma lecture, je lus à voix haute afin d’expliquer à Ludmilla, les raisons de mon voyage. Elle trouva cela passionnant, et souhaita même arriver très vite à Brasov pour découvrir ce fameux livre.

Alex@r60 – février 2022

4 février 2022

Transylvanie express (11)

tumblr_15ea2cfbd5a84dd052882a9997f147fa_76bd9558_1280

Après avoir déposé les valises, le jeune bagagiste sortit de la cabine sans attendre de pourboire. Il ne voulait pas déranger notre silence devenu soudainement intime. Elle me souriait, je lis de l’inquiétude dans ses yeux pétillants, qui se dissipa lorsque je souris à mon tour. Ludmilla souffla et enlaça ses bras autours de mon cou, posant sa tête contre ma poitrine. Dès lors, je pressai son corps contre le mien, inhalant ses cheveux au parfum de vanille.

-          Pourquoi ? demandai-je.

-          Je voulais retrouver mon indépendance, répondit-elle.

Puis, elle m’embrassa longuement, tendrement, follement. Dehors, le quai se vidait petit-à-petit. Le chef de gare siffla, le train démarra et quitta la gare autrichienne. Un homme aux cheveux gris grommela en maudissant mon amie. Ensuite, le train retrouva son habituel tintamarre. Les passagers prirent leurs aises. Certains occupèrent des sièges, voyageant jusqu’aux gares les plus proches. D’autres, s’accaparèrent les compartiments couchettes. Un homme sourit en passant devant notre cabine, en entendant un long gémissement féminin.

La nuit tomba rapidement dissipant le perpétuel brouillard. Cela ne changea rien puisqu’on ne voyait toujours pas en dehors du train. Cependant, la lune refléta pendant quelques secondes dans le miroir de la salle d’eau. Ludmilla resta étendue, nue contre moi. Je réfléchissais sur la suite de notre histoire. J’avais énormément de choses, de travail à préparer jusqu’à Brasov. De plus, je commençai à trouver la pièce trop petite pour deux, surtout la couchette. Mais, Ludmilla me rassura en tapant contre le mur.

-          C’est aussi un lit à deux étages. Cette partie se remonte. (elle me dévisagea tout en caressant mes lèvres à l’aide son index) Tu ne prends pas souvent de train ?

-          Si, mais pas aussi longtemps, répondis-je avant d’ajouter en murmurant : ni dans un monde qui n’est pas le mien.

Elle fronça les sourcils sans chercher plus d’explication. Puis, après avoir déposé un baiser sur ma bouche, sa tête retrouva sa position préférée qui fut d’utiliser mon épaule comme oreiller. J’écoutai le train rouler, un sifflement résonna dehors. Le reflet de la lune avait disparu du miroir. Puis, silencieux, je profitai de cet instant magique pour caresser ses cheveux en bataille.

-          Qu’est ce qui t’a motivée à me rejoindre ? murmurai-je.

Je n’attendais pas de réponse. En fait, je parlais bêtement à moi-même. Seulement, Ludmilla entendit ma question. Ses doigts caressèrent mon torse, Elle joua un peu à appuyer sur mon téton droit, puis elle soupira.

-          Je n’ai pas eu une vie heureuse, dit-t-elle. Je suis née près de Prague. Mon père était un homme d’affaire important, mais je ne l’ai pas connu. J’avais deux ans à sa mort. Ma mère s’est remariée, un peu après, avec un riche négociant. Et… J’avais six ans quand il m’a touchée pour la première fois. Il est venu dormir dans mon lit. Cela a duré plusieurs années. Puis, j’ai fui après l’avoir blessé gravement. Un jour, j’en avais eu marre et j’ai planté un couteau, là ! (sa main recouvrit mes parties intimes). Je me suis cachée à Prague où j’ai trouvé un travail de domestique chez des aristocrates. En raison de mon jeune âge, j’étais en charge des enfants. J’intéressais aussi le père ; lui aussi s’est invité dans mon lit. Par contre, il était plus doux, plus gentil, jusqu’à ce que sa femme découvre notre relation. Alors, j’ai été chassée. Ils m’ont donnée un an de salaire avec un billet de train pour quitter le pays.

J’écoutai Ludmilla sans montrer de réaction. Je ressentis sa douleur, la tristesse qui envahissait sa voix. Je pouvais entendre les larmes qui avaient coulé pendant ces années. Ma main continua de démêler ses cheveux bruns.

-          Je suis partie à Paris. Au début, c’était génial. Mais je n’avais aucune idée du coût de la vie. Je me suis vite retrouvée sans argent. Puis, quelqu’un m’a proposée de payer pour passer une soirée avec lui. Il m’a offert une magnifique robe. Nous avons mangé avec d’autres personnes. J’ai servi de potiche, de faire-valoir auprès de ses relations. Cela a permis de me composer un carnet d’adresses. Seulement, il n’était pas assez imposant pour me protéger de la police des mœurs. Alors, je suis entrée dans une maison close. La vie n’y était pas mauvaise. J’y ai fait quelques belles rencontres mais aussi d’autres plus terribles. Souvent, j’avais des extras par mon statut d’étrangère. Mon accent a aussi joué un rôle dans mon succès. J’avais un droit de sortie régulière. Je pouvais participer aux banquets, aux diners mondains. Tu vas surement rire, mais ma situation voulait que je prenne des cours de musique, de mathématique, de français, d’histoire. Je devais être capable de discuter sur tout et n’importe quoi.

-          Qu’est ce qui t’a poussée à aller à Vienne ?

-          Lui ! affirma-t-elle sèchement. Il est entré dans la maison. Il a discuté avec la tenancière sur mon prix et il m’a achetée.

Sans même me regarder, elle devina l’étonnement marquant mon visage. J’arrêtai de caresser ses cheveux. La locomotive siffla longuement. Elle pressa encore plus sa tête contre mes poumons comme si elle cherchait à se protéger.

-          Une femme n’a qu’un droit, celui de son mari, quelque-soit le pays. Alors, je l’ai épousée de force, j’ai dû accepter ses règles, ses désirs. (Elle observa le mur) Quand nous étions ensemble, il nous surveillait. Il nous regardait faire l’amour à travers des trous…. Il a fait pire…

-          Tu ne risques rien en l’abandonnant ?

-          Si, répondit-elle en riant. Bien sûr que si ! Mais tant que nous serons ensemble, nous serons considérés comme mariés. On n’embête pas une femme accompagnée.

Elle ferma les yeux et s’endormit aussitôt. Je repensai à son histoire, à sa vie. Je repensai à ce monde dont la société se montrait archaïquement misogyne. J’avais vaguement compris en lisant les journaux proposés dans le wagon-bar, combien la condition féminine demeurait inexistante. Je regrettai mon monde, celui dont la femme pouvait se déplacer librement. Même s’il était loin d’être parfait, Ludmilla l’aurait aimé. Son souffle frôla la peau de mon torse. La lune réapparut brusquement, éclairant la cabine d’une lumière tamisée. Un couple discuta dans le couloir, leurs voix s’éloignèrent au rythme des secousses du train. Ludmilla remua un bras, remontant sa main jusqu’à mon autre épaule. J’eus soudainement froid. Ses doigts chatouillèrent ma gorge me rappelant les cauchemars durant lesquels, elle s’abreuvait de mon sang. Tout à coup, elle leva la tête et se mit à renifler, cherchant à reconnaitre une odeur particulière. Ses dents pincèrent ses lèvres. J’attendis qu’elle approchât sa bouche de ma gorge, et me préparai à sa morsure. Mais elle soupira et resta endormie.

Il y avait du monde dans l’ancienne couchette de Ludmilla. C’était un couple. J’écoutai attentivement. Ils riaient, je pensai à des amoureux comme des jeunes mariés. Mais dans ce monde, l’amour n’est pas heureux car les mariages restaient souvent une manière de mettre d’accord des partenaires financiers ou de préserver des propriétés. Monde cruel, peut-être. Mais qu’aurai-je pensé du mien, si je venais de ce monde ?

Alors, tout en emmêlant mes doigts dans la longue tignasse de la jeune femme, je penchai le visage au plus près de son front et l’embrassai pour lui rappeler que je suis à ses côtés. Elle ne bougea pas, profitant toujours de mon épaule comme oreiller. Puis, je m’endormis en me demandant quand et comment je retournerais dans mon monde. Et surtout, comment y faire venir Ludmilla. Parce qu’il n’était plus question de l’abandonner.

Alex@r60 – février 2022

4 février 2022

Transylvanie express (10)

tumblr_15bb7e82cbe17860c89bbe7ee1b52041_97149d1c_500

- C’est drôle ! Cela fait à peine quelques jours que nous nous connaissons, pourtant j’ai l’impression que ça fait une éternité.

Sur le coup, elle ne réagit pas, continuant de manger une pêche au sirop en la découpant à l’aide d’une cuillère. Les morceaux de fruit s’entrechoquaient dans une coupole pleine de liquide sucré et translucide. Elle essaya, sans l’aide d’autre ustensile, de placer, une petite partie détachée, dans le couvert. Puis, une fois réussie, elle dirigea la cuillère vers sa bouche arrondie et qui me donnait envie de l’embrasser.

Je ne remarquai pas les autres voyageurs assis dans le wagon-restaurant. Comme d’habitude, ils discutaient dans un brouhaha presque caché par les roulements du train. Ludmilla remua le reste de la pêche avec sa cuillère avant d’en détacher une partie. Elle hésita à lever la tête et rencontrer mon regard. Toutefois, après qu’elle eut mâché puis avalé, je remarquai un petit détail insignifiant qui en disait beaucoup ; c’était un petit sourire au coin de ses lèvres.

- On se connait depuis quelques jours et j’ai l’impression que cela fait...

- J’ai entendu, dit-elle. Mais tu ne me connais pas.

- Parle-moi de toi, alors. Mais, je suis certain de ne rien apprendre.

Elle écarquilla les yeux, m’observa en affichant un air de surprise. Elle inspira soudainement, réfléchissant sur la manière dont elle devait répondre. Puis, elle rejoua avec le reste de la pêche, cherchant à le mettre dans la cuillère tout en le poussant.

- Je sais que tu me caches des choses, continuai-je. Par exemple, l’homme qui vit avec toi… dans ta cabine. Je ne sais pas qui il est. Ton mari ? Ton père ? Ton compagnon ? Je…

- Je comptais t’en parler, interrompit-elle.

Elle posa la cuillère, regarda mon assiette vide. Je n’avais pas touché à la part de tarte aux pommes. En fait, je n’avais pas faim. Je gardai à l’esprit que le train arrivait dans la soirée en gare de Vienne et qu’elle allait bientôt quitter ma vie. J’avais réfléchi sur ma présence dans ce train, dans ce monde, et j’en concluais que j’étais là pour la rencontrer. Je jouais un rôle auprès d’elle et réciproquement. Mais lequel ?

Les gens, derrière moi, discutèrent sur la beauté de la campagne autrichienne. L’un d’eux exprima un profond regret de ne pas pouvoir partir en Suisse. Il raconta l’histoire du village visible au loin. Cependant, je ne vis qu’un brouillard aussi pesant qu’épais. Une vraie purée de pois dont il était impossible de distinguer quoi que ce soit. Ludmilla interpela le serveur qui passa en tenant un plateau d’assiettes sales. Le garçon à la moustache fine et aux cheveux peignés de gras, se pencha pour écouter son murmure avant de partir en hochant la tête.

- Dans la cabine de Monsieur, s’il vous plait, ajouta-t-elle.

Ensuite, elle se leva et m’invita à l’accompagner jusqu’à ma couchette. Elle ne voulait pas partir sans un dernier souvenir… un dernier moment d’égarement, pensai-je. Pendant la traversée du restaurant, j’eus la sensation d’être observé par les clients, comme s’ils savaient ce que nous allions faire. Je marchai derrière elle, humant son parfum de vanille et de fleur d’oranger. Il occupait une part de plus en plus importante dans mes émotions. Elle s’arrêta devant chaque porte, attendant mon intervention pour l’ouvrir. Ensuite, elle reprenait la tête de notre marche dans les couloirs des compartiments. J’observai les passagers dans leurs cabines dès qu’une porte demeurait ouverte. La majeure partie restait assise sur la couchette, lisant, jouant aux dames ou aux cartes. Ils attendaient l’arrivée en gare de Vienne. Pourtant, il restait encore un après-midi entier avant d’entrer dans la capitale autrichienne, surtout qu’un contrôleur avait prévenu d’un retard possible.

A peine entrés dans ma cabine qu’on frappa à la porte ! Un jeune homme habillé d’une blouse blanche entra pour déposer sur la commode, servant à la fois de table et de bureau, deux flutes ainsi qu’un seau de glace. Il sortit une bouteille de champagne hors du seau, qu’il déboucha avant de remplir les verres de son liquide pétillant. La mousse retomba aussi vite qu’elle monta. Je ne dis rien sur mon dégoût pour le vin en général, particulièrement, le champagne. Parce que cela donnait mal à la tête.

Assise sur le bord du lit, Ludmilla récupéra une coupe et attendit que le serveur sorte pour me proposer de trinquer. Je pris l’autre verre, le cognai contre le sien provoquant un tintement de cristal. Je me posai près d’elle, attendant qu’elle prenne ma main ou qu’elle s’approche pour un baiser sensuel. Cependant, elle but une gorgée puis, elle fixa de ses yeux marrons, le mur séparant nos cabines. Dès lors, elle se mit à rire.

- Il nous regarde, dit-elle. Depuis le début, il nous regarde !

- Qui ? demandai-je.

Son visage se figeait étrangement. Parfois, il changeait comme si j’avais loupé quelques secondes. Tantôt, elle souriait, une seconde plus tard, elle semblait pleurer. Puis, ses yeux, sa bouche, son nez, la forme ovale de son visage s’embrumèrent laissant place à une espèce de ballon de football aux traits flous et tournant au point de rien voir. J’inspirai fortement, cherchant à cacher mon inquiétude. Je bus entièrement mon verre de champagne. Et constatant le retour de son doux visage, je posai le verre sur le meuble. Je n’avais pas entendu sa réponse. Toutefois, je gardai le silence. Elle m’observa longuement avant de dire :

- Tu sembles fatigué. Je vais te laisser et le rejoindre. Je te souhaite le plus beau des bonheurs, parce que tu le mérites.

Elle se leva. A ce moment, j’attrapai sa main et la portai contre mes lèvres. Elle accepta mes baisers sur ses doigts, elle accepta que je l’utilise pour caresser ma joue. Elle parut douce et soyeuse. Ludmilla soupira avant de s’éloigner et quitter la cabine. Je regardai mon amie ouvrir la porte puis la claquer une dernière fois. Je suivis des oreilles ses pas dans le couloir, la porte de sa cabine grincer et se refermer brutalement. J’entendis quelques mots, quelques échos, quelques phrases. Enfin, plus rien ! Alors, le cœur en peine, je m’allongeai sur le lit, inspirant ce qui restait de son parfum dans l’air. Alors, je m’endormis.

Le chef de gare hurla à hauteur de ma fenêtre ; il invitait les derniers voyageurs à se dépêcher. J’ouvris la fenêtre pour essayer d’apercevoir une dernière fois Ludmilla. Le quai ne se vidait pas. Je crus la voir de dos, avant de réaliser qu’il s’agissait d’une autre femme. En fait, je crus la voir parmi toutes les femmes présentes sur le quai. Le même remue-ménage s’organisa dans le wagon avec les nouveaux arrivants. On s’excusait, on parlait fortement, cherchant auprès de contrôleurs les bonnes places ou les bonnes cabines. Les valises frottaient sur le sol ou cognaient contre les portes et les parois. Je commençai à regretter le départ de Ludmilla, je commençai à regretter de ne pas rêver.

J’allais me rassoir sur la couchette lorsque je reconnus son manteau. Elle le portait pendant notre balade dans Venise. Elle précédait un homme à l’air vieux et aux cheveux grisonnants. Deux grooms les suivaient en portant des bagages. Elle ralentit sa marche pour tourner la tête dans la direction du train. Son regard croisa le mien. Dès lors, elle s’immobilisa au milieu de la foule qui s’activait énormément. L’homme disparut parmi ces gens à la recherche de leur correspondance, tandis que les grooms attendaient qu’elle fasse de même. Elle leva une main gantée pour me saluer. Elle fit ensuite un pas vers le hall de gare puis se ravisa. Et sans comprendre la raison, elle retourna vers le train.

Je m’attendais à la voir approcher jusqu’à la fenêtre. Je me doutais de ses mots du genre : « Je ne t’oublierai jamais ». Mais à ma grande surprise et celle des domestiques, elle grimpa les escaliers du wagon.

- Ludmilla ! cria une voix lointaine.

Elle regarda l’homme qui avait partagé sa cabine avant de lui lancer un baiser moqueur à l’aide de sa main. Cependant, il ne fit rien pour la retenir ni empêcher le groom portant ses affaires. Ce dernier suivit mon amie qui courut dans le couloir, bousculant au passage les voyages égarés jusque devant ma porte. Mon cœur battit la chamade au premier toquement.

Alex@r60 – février 2022

Publicité
Publicité
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 > >>
les écrits fantasmagoriques
  • Mes petits récits et poèmes érotiques et fantastiques ainsi que quelques souvenirs partagés. Bref une vraie petite librairie ou j'espère que tout le monde trouvera un truc chouette à lire
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Archives
Pages
Newsletter
Publicité