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les écrits fantasmagoriques
4 février 2022

Transylvanie express (11)

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Après avoir déposé les valises, le jeune bagagiste sortit de la cabine sans attendre de pourboire. Il ne voulait pas déranger notre silence devenu soudainement intime. Elle me souriait, je lis de l’inquiétude dans ses yeux pétillants, qui se dissipa lorsque je souris à mon tour. Ludmilla souffla et enlaça ses bras autours de mon cou, posant sa tête contre ma poitrine. Dès lors, je pressai son corps contre le mien, inhalant ses cheveux au parfum de vanille.

-          Pourquoi ? demandai-je.

-          Je voulais retrouver mon indépendance, répondit-elle.

Puis, elle m’embrassa longuement, tendrement, follement. Dehors, le quai se vidait petit-à-petit. Le chef de gare siffla, le train démarra et quitta la gare autrichienne. Un homme aux cheveux gris grommela en maudissant mon amie. Ensuite, le train retrouva son habituel tintamarre. Les passagers prirent leurs aises. Certains occupèrent des sièges, voyageant jusqu’aux gares les plus proches. D’autres, s’accaparèrent les compartiments couchettes. Un homme sourit en passant devant notre cabine, en entendant un long gémissement féminin.

La nuit tomba rapidement dissipant le perpétuel brouillard. Cela ne changea rien puisqu’on ne voyait toujours pas en dehors du train. Cependant, la lune refléta pendant quelques secondes dans le miroir de la salle d’eau. Ludmilla resta étendue, nue contre moi. Je réfléchissais sur la suite de notre histoire. J’avais énormément de choses, de travail à préparer jusqu’à Brasov. De plus, je commençai à trouver la pièce trop petite pour deux, surtout la couchette. Mais, Ludmilla me rassura en tapant contre le mur.

-          C’est aussi un lit à deux étages. Cette partie se remonte. (elle me dévisagea tout en caressant mes lèvres à l’aide son index) Tu ne prends pas souvent de train ?

-          Si, mais pas aussi longtemps, répondis-je avant d’ajouter en murmurant : ni dans un monde qui n’est pas le mien.

Elle fronça les sourcils sans chercher plus d’explication. Puis, après avoir déposé un baiser sur ma bouche, sa tête retrouva sa position préférée qui fut d’utiliser mon épaule comme oreiller. J’écoutai le train rouler, un sifflement résonna dehors. Le reflet de la lune avait disparu du miroir. Puis, silencieux, je profitai de cet instant magique pour caresser ses cheveux en bataille.

-          Qu’est ce qui t’a motivée à me rejoindre ? murmurai-je.

Je n’attendais pas de réponse. En fait, je parlais bêtement à moi-même. Seulement, Ludmilla entendit ma question. Ses doigts caressèrent mon torse, Elle joua un peu à appuyer sur mon téton droit, puis elle soupira.

-          Je n’ai pas eu une vie heureuse, dit-t-elle. Je suis née près de Prague. Mon père était un homme d’affaire important, mais je ne l’ai pas connu. J’avais deux ans à sa mort. Ma mère s’est remariée, un peu après, avec un riche négociant. Et… J’avais six ans quand il m’a touchée pour la première fois. Il est venu dormir dans mon lit. Cela a duré plusieurs années. Puis, j’ai fui après l’avoir blessé gravement. Un jour, j’en avais eu marre et j’ai planté un couteau, là ! (sa main recouvrit mes parties intimes). Je me suis cachée à Prague où j’ai trouvé un travail de domestique chez des aristocrates. En raison de mon jeune âge, j’étais en charge des enfants. J’intéressais aussi le père ; lui aussi s’est invité dans mon lit. Par contre, il était plus doux, plus gentil, jusqu’à ce que sa femme découvre notre relation. Alors, j’ai été chassée. Ils m’ont donnée un an de salaire avec un billet de train pour quitter le pays.

J’écoutai Ludmilla sans montrer de réaction. Je ressentis sa douleur, la tristesse qui envahissait sa voix. Je pouvais entendre les larmes qui avaient coulé pendant ces années. Ma main continua de démêler ses cheveux bruns.

-          Je suis partie à Paris. Au début, c’était génial. Mais je n’avais aucune idée du coût de la vie. Je me suis vite retrouvée sans argent. Puis, quelqu’un m’a proposée de payer pour passer une soirée avec lui. Il m’a offert une magnifique robe. Nous avons mangé avec d’autres personnes. J’ai servi de potiche, de faire-valoir auprès de ses relations. Cela a permis de me composer un carnet d’adresses. Seulement, il n’était pas assez imposant pour me protéger de la police des mœurs. Alors, je suis entrée dans une maison close. La vie n’y était pas mauvaise. J’y ai fait quelques belles rencontres mais aussi d’autres plus terribles. Souvent, j’avais des extras par mon statut d’étrangère. Mon accent a aussi joué un rôle dans mon succès. J’avais un droit de sortie régulière. Je pouvais participer aux banquets, aux diners mondains. Tu vas surement rire, mais ma situation voulait que je prenne des cours de musique, de mathématique, de français, d’histoire. Je devais être capable de discuter sur tout et n’importe quoi.

-          Qu’est ce qui t’a poussée à aller à Vienne ?

-          Lui ! affirma-t-elle sèchement. Il est entré dans la maison. Il a discuté avec la tenancière sur mon prix et il m’a achetée.

Sans même me regarder, elle devina l’étonnement marquant mon visage. J’arrêtai de caresser ses cheveux. La locomotive siffla longuement. Elle pressa encore plus sa tête contre mes poumons comme si elle cherchait à se protéger.

-          Une femme n’a qu’un droit, celui de son mari, quelque-soit le pays. Alors, je l’ai épousée de force, j’ai dû accepter ses règles, ses désirs. (Elle observa le mur) Quand nous étions ensemble, il nous surveillait. Il nous regardait faire l’amour à travers des trous…. Il a fait pire…

-          Tu ne risques rien en l’abandonnant ?

-          Si, répondit-elle en riant. Bien sûr que si ! Mais tant que nous serons ensemble, nous serons considérés comme mariés. On n’embête pas une femme accompagnée.

Elle ferma les yeux et s’endormit aussitôt. Je repensai à son histoire, à sa vie. Je repensai à ce monde dont la société se montrait archaïquement misogyne. J’avais vaguement compris en lisant les journaux proposés dans le wagon-bar, combien la condition féminine demeurait inexistante. Je regrettai mon monde, celui dont la femme pouvait se déplacer librement. Même s’il était loin d’être parfait, Ludmilla l’aurait aimé. Son souffle frôla la peau de mon torse. La lune réapparut brusquement, éclairant la cabine d’une lumière tamisée. Un couple discuta dans le couloir, leurs voix s’éloignèrent au rythme des secousses du train. Ludmilla remua un bras, remontant sa main jusqu’à mon autre épaule. J’eus soudainement froid. Ses doigts chatouillèrent ma gorge me rappelant les cauchemars durant lesquels, elle s’abreuvait de mon sang. Tout à coup, elle leva la tête et se mit à renifler, cherchant à reconnaitre une odeur particulière. Ses dents pincèrent ses lèvres. J’attendis qu’elle approchât sa bouche de ma gorge, et me préparai à sa morsure. Mais elle soupira et resta endormie.

Il y avait du monde dans l’ancienne couchette de Ludmilla. C’était un couple. J’écoutai attentivement. Ils riaient, je pensai à des amoureux comme des jeunes mariés. Mais dans ce monde, l’amour n’est pas heureux car les mariages restaient souvent une manière de mettre d’accord des partenaires financiers ou de préserver des propriétés. Monde cruel, peut-être. Mais qu’aurai-je pensé du mien, si je venais de ce monde ?

Alors, tout en emmêlant mes doigts dans la longue tignasse de la jeune femme, je penchai le visage au plus près de son front et l’embrassai pour lui rappeler que je suis à ses côtés. Elle ne bougea pas, profitant toujours de mon épaule comme oreiller. Puis, je m’endormis en me demandant quand et comment je retournerais dans mon monde. Et surtout, comment y faire venir Ludmilla. Parce qu’il n’était plus question de l’abandonner.

Alex@r60 – février 2022

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