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les écrits fantasmagoriques
15 juillet 2020

N.A.C.

photo by Albert Finch

- C’est quoi cette photo ?

- A ça, c’est…

L’ancêtre hésita à prononcer le mot. Il observa la jeune femme entièrement nue sur la photo et soupira avant de reprendre.

-          C’est… c’était mon animal de compagnie quand j’étais gamin. Papa l’avait ramené d’un laboratoire clandestin. Il avait été capturé et enfermé dans une cage avec plusieurs autres congénères venus de je ne sais plus quelle contrée lointaine. C’était la seule femelle survivante car tous les autres sont morts. Elle était assise au milieu des cadavres en putréfaction et tenait dans ses bras le corps sans vie de son petit, pris en même temps qu’elle.

La jeune fille écoutait son ancêtre avec attention. Elle n’avait jamais entendu parler son grand-père de sa jeunesse, alors apprendre qu’il avait un animal de compagnie fut une énorme découverte.

-          C’est étonnant. C’est quand même un animal d’élevage, affirma-t-elle.

-          Pas à mon époque. Il n’y en avait pas beaucoup. J’étais même privilégié d’en avoir un. C’est vrai qu’ils sont sauvages. Mais elle avait été dressée. Papa voulait la faire opérer parce que leur principal défaut est le bavardage. Ça piaille autant qu’une poule et ce n’est pas du tout évident à supporter. Finalement, on lui mettait un collier électrique qui se déclenchait dès qu’elle ouvrait la gueule. Sinon, elle avait essayé de fuir au début, mais on la rattrapée au bon moment parce qu’elle a failli être dévorée par des chiens de prairie. Cette expérience lui a fait comprendre qu’elle ne devait pas sortir.

-          Et tes parents l’acceptaient bien ? Elle vivait dehors ?

-          Dans la maison ou dans le jardin. Oui, mon père était juste avec elle. Il a toujours aimé les animaux. Par contre dès qu’elle faisait une bêtise, il la punissait sévèrement.  Ma mère ne l’appréciait pas trop. Elle trouvait qu’elle avait une odeur. D’ailleurs, elle refusait qu’elle monte sur les meubles, les chaises, les lits, les fauteuils.

-          Elle faisait comment ? demanda la fille à son grand-père.

-          Elle s’asseyait toujours à nos pieds. En position fidèle. Elle attendait une caresse ou deux, qu’on s’occupe d’elle et elle nous écoutait parler ou nous regardait en train de nous occuper. Elle avait son coin avec une litière. Elle avait sa gamelle au même endroit. Et on lui faisait prendre un bain toute les semaines.

L’adolescente regarda de nouveau la photo. Elle s’imagina avoir ce genre d’animal. Puis, elle repensa à un slogan incitant les gens à ne pas les manger.

-          C’est vrai que ce sont des animaux savants ?

-          Elle savait utiliser des outils, mais de là à dire qu’ils sont intelligents…. Je ne sais pas.

-          Tu as du passer de bons moments avec elle…murmura la petite-fille.

Il sourit, entra légèrement dans ses souvenirs avant de répondre en hochant de la tête. Puis il frotta un œil et dit :

-          Oui, j’aimais bien jouer avec elle. Un jour, j’ai eu le droit de l’apporter à l’école. J’avais fait fureur auprès des copains. Mais elle a été apeurée par toutes les mains qui cherchaient à la toucher. Alors, l’institutrice appela mon père pour qu’il la récupère. Après, mes amis voulaient venir à la maison pour la voir et jouer avec.

-          Et comment est-elle morte ?

-          On était partis à la montagne pour les vacances. Son pelage n’était pas fait pour le froid, alors après trois jours dans la neige, elle a attrapé une maladie. Elle respirait mal, en fait, elle sifflait douloureusement. C’était une sorte de coryza. A notre retour, papa l’a amenée chez le vétérinaire parce qu’au même moment, il avait été question de les classer comme animaux d’élevage et donc interdits à la domestication.

-          C’est vrai que c’est bon comme viande, affirma la jeune femme. Tu en as déjà mangé ?

-          Non. Je ne me vois pas en manger.

-          Tu devrais au moins goûter. Il y a des parties qui sont succulentes. Mon fiancé m’a invitée une fois dans un restaurant huppé ou l’on propose de la cervelle. Ils apportent l’animal vivant, l’installent sur une machine qui coince la tête pour décapiter net. Puis, la tête encore fraiche est apportée sur un coquetier avec le haut du crane ouvert. Accompagnée d’une sauce au vinaigre, c’est délicieux. Sinon j’aime le foie gras de ces animaux. C’est bon !

Elle se lécha les babines, faisant sourire son papy. Toutefois, elle ne remarqua pas que c’était un sourire crispé. Il s’enfonça dans son fauteuil et regarda une nouvelle fois le cliché de la jeune femme assise. Il se souvenait être assis dans le siège photographié à côté d’elle. Elle était à la même place, sur les genoux. Il caressa sa longue chevelure, puis sa joue et son cou. Elle gémit, respira fortement et pris entre ses mains la main aux longs doigts gris de son maître. Il sentit le contact humide d’une larme sur la paume de sa main. Elle s’incrusta dans la ventouse juste en-dessous du pouce. A ce moment, il se demanda si son animal de compagnie avait des sentiments et à quoi il pouvait penser. Il n’entendit pas son fils entrer dans le salon. Par contre, il aperçut l’ombre de ses quatre bras. Il sortit de sa mémoire, tourna la tête et affirma au père de sa petite-fille qu’il avait l’air en forme ; il était plus gris que d’ordinaire.

-          Alors, de quoi parlez-vous ? demanda son fils.

-          On regarde de vieilles photos de famille. Tu savais que papy avait eu un humain comme animal ? annonça la jeune fille.

-          Ho, mon dieu, quelle horreur ! Je n’arriverai pas à avoir ça chez moi. Tu imagines, rien que leur bouche me fait horreur ! Ils n’ont pas de mandibule et puis ça gueule tout le temps. Je le sais, j’ai vu un documentaire sur leur élevage en batterie !

Le vieil homme ne dit rien. Il avança pour prendre un autre album. Celui-ci commençait avec des photos de son épouse. Leur rencontre à l’université. Elle était belle avec ses quatre gros yeux noirs.

Alex@r60 – juillet 2020

Photo d’Albert Finch

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  • Mes petits récits et poèmes érotiques et fantastiques ainsi que quelques souvenirs partagés. Bref une vraie petite librairie ou j'espère que tout le monde trouvera un truc chouette à lire
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