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les écrits fantasmagoriques
24 mai 2022

Transylvanie express (23)

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Je restai allongé dans la baignoire tout en tirant avantage d’une eau chaude et reposante. Je ne pensai pas que l’hôtel profitait d’un système d’eau courante. Je me laissai bercer par les effluves de fumée qui s’échappaient de la baignoire. Elles grimpèrent recouvrant, à l’image de la brume extérieure, l’atmosphère de la salle de bain. La porte ouverte laissa entendre les gestes et les pas de mon amie. Elle venait de s’habiller et, attendait en faisant les quatre cents pas, un groom qu’elle avait appelé en actionnant une clochette attachée à une cordelette. Ludmilla sembla inquiète.

La fumée de plus en plus épaisse forma des tourbillons dans la pièce. Elle dansait autours de la baignoire cherchant à hypnotiser mon esprit. Cependant, je restai inattentif, perdu dans mes pensées. J’étais encore dans la rue, revoyant cet être qui me demandait si je la trouvais belle. Je cherchai à comprendre son approche, la raison de son emprise sur ma personne. Par moments, je surpris la vapeur à prendre l’apparence de son manteau. J’apercevais furtivement la capuche qui couvrait son visage. Mais après avoir cligné des yeux, la fumée recommençait à flotter.

Il faisait si chaud que mon visage se couvrit de gouttelettes de sueur. Elles perlèrent sur ma peau jusqu’à se mélanger avec l’eau du bain. Mes bras reposaient sur les bords en céramique de la baignoire. On frappa à la porte, ma compagne se précipita pour ouvrir. Elle prononça quelques mots avant de se diriger vers un petit secrétaire. Dans l’ouverture de la porte, je remarquai, la silhouette de l’employé. Il parut maigre, petit et jeune… certainement un adolescent. D’ailleurs, sa voix indiqua qu’il n’avait pas encore mué. Une plume griffonna une feuille de papier. Les mouvements oppressants de Ludmilla résonnèrent jusqu’à mes oreilles. Ils se mélangeaient à la fumée dansante. Dès lors, je distinguai une ombre blanche et opaque au milieu de ce brouillard qui brouillait ma vue.

Le garçon d’étage sortit de la suite, après avoir pris le courrier de Ludmilla ainsi qu’un pourboire. Pendant ce temps, la forme approcha lentement. Je remarquai le manteau dont les bords gigotaient à l’image des robes de roumis, ces fameux danseurs orientaux. Une capuche recouvrait la tête. Cependant, ses bras commencèrent à apparaitre. Et malgré leur apparence de plus en plus inquiétante, je restai calme, toujours étendue dans une eau qui ne refroidissait jamais.

De l’autre côté, mon amie se rongeait les ongles. Ses talons claquèrent contre le parquet. Je la vis passer et passer tout en tournant de temps en temps la tête vers la porte de la chambre. Elle semblait m’avoir oublié. Mais, brusquement, elle écarta la porte afin de me rejoindre. De l’autre côté de la salle d’eau, la silhouette persévéra à rester au milieu de la vapeur qui continuait de s’échapper de mon bain.

- Yannick, entendis-je comme un murmure lointain.

Je ne savais pas si c’était ma belle ou l’ombre qui venait de parler. Mon prénom résonna de nouveau. J’inspirai soudainement jusqu’à remplir mes poumons. Ludmilla se présenta à ma gauche, obstruant le peu de lumière qui venait de la chambre. Cependant, la silhouette était toujours visible. La fumée la déformait de plus en plus, si bien que je crûs voir ses bras s’allonger et flétrir en un rien de temps. La chair de ses membres noircit et commença à se détacher, laissant apparaitre des os de la même couleur que la brume dans laquelle je baignais. La chose approcha à ma droite. Puis, comme dans un miroir déformant, elle imita les gestes de la jeune tchèque. Elles posèrent une main sur le bord de la baignoire. L’une était blanche et belle, des doigts fins et propres. L’autre n’était qu’un tas d’osselets tordus terminé par des ongles noirs et griffus.

- Yannick ?

Je tournai la tête vers Ludmilla. Je ne vis pas son visage, ne distinguant que ses formes en raison de la chaleur qui transformait la pièce en sauna. Je ne répondis pas, gardant la bouche entre-ouverte. Sa main effleura mon épaule gauche. Je frémis en réalisant que la main osseuse caressa mon épaule droite. Dès lors, je tournai brutalement la tête vers la silhouette devenue proche. La capuche empêchait toujours de dévoiler sa figure. Il y avait aussi un étrange mélange de parfum subtil et de pouriture ; La vanille et la fleur d’orange se mêlaient à l’odeur de l’œuf pourri et du rat crevé. Malgré cela, je restai coi, attendant que Ludmilla parlât Je pouvais ressentir son angoisse.

- Je crois qu’il est ici… à Bucarest.

- Qui ? demandai-je.

- Drahomir… mon mari.

Il y avait presque des larmes dans ses mots. Elle renifla brutalement, ce qui n’était pas son genre. Sa main continua de frotter doucement mon épaule gauche ainsi que mon bras. L’effrayante ombre fit de même avec mon bras droit. Ses griffes lacérèrent mes muscles. Je préférai ne rien dire, persuadé mais aussi un peu surpris, par l’attitude indifférente de ma compagne à son égard. C’était à croire qu’elle ne la voyait pas.

- Qu’est-ce qui te fait penser à ça ?

- Le courrier dès notre arrivée, c’était lui ! Je ne sais pas comment, mais il sait où nous logeons. Il a déjà envoyé deux télégrammes, dont un de l’aérodrome. Je suis certaine qu’il va venir.

Elle se pencha jusqu’à s’agenouiller afin d’avoir sa tête à ma hauteur. Je sentis le souffle froid et putride de la silhouette. Du coin de l’œil, je pouvais voir la capuche toucher le bord de la baignoire. En se baissant, Ludmilla laissa passer un faisceau de lumière qui se termina sur l’habit noir du spectre.

- Il faut partir aujourd’hui, ajouta-t-elle.

Je gardai le silence. J’avais du mal à réfléchir en raison de la forte chaleur qui continuait à embuer, aussi bien la salle de bain que mon esprit. De plus, un écho retentit, revenant comme une vieille comptine. Ce n’était qu’une phrase et elle venait de ma droite : « Est-ce que tu me trouves belle ? ». Les doigts du squelette imitaient toujours ceux de Ludmilla. Ils se déplaçaient sur la peau de mon épaule droite, laissant un frisson parcourir l’intégralité de mon corps. J’avais froid alors qu’il faisait si chaud.

- je me suis renseignée, et il y a une diligence qui part pour Hermannstadt. De là, on pourra rejoindre Kronstadt, ou si tu préfères, Brasov.

- Je ne sais pas. Une diligence spéciale nous a été affrétés et arrivera demain. Tu sais, on n’est pas à une journée près… et je n’ai pas peur de lui, dis-je.

Les ongles de Ludmilla s’enfoncèrent dans mon bras en même temps que les griffes du fantôme à la capuche. Elle soupira pendant qu’une phrase résonna dans ma tête : « Est-ce que tu me trouves belle ? ». Alors, résignée, Ludmilla se releva et sortit de la salle. J’écoutai le bruit de ses talons sur le parquet. Ils étaient moins rapides, plus doux mais leur vibration apporta une étrange tristesse dans l’air. Je sentis aussi l’ombre s’éloigner de la baignoire pour retourner dans les profondeurs de la brume toujours formée par la vapeur de l’eau chaude. La silhouette blanchit petit-à-petit jusqu’à disparaitre définitivement. Je somnolai encore un peu avant de quitter le bain devenu tout à coup froid. La vapeur laissa place à la lumière des chandeliers à bougies accrochés aux murs.

Après m’être essuyé et habillé, je rejoignis mon amour étendue sur le lit. Son regard sombre et triste, confirmait qu’elle angoissait toujours. Aussi, je l’enlaçai lui promettant de la protéger contre cet homme ignoble. J’en savais assez à son sujet pour le juger. Toutefois, je me sentais prêt à l’affronter. De plus, pour rassurer Ludmilla, je lui proposai de sortir, avant de rejoindre le restaurant pour notre dernier diner dans le palace. Elle soupira puis se leva. Mais au moment de quitter la chambre, la porte s’ouvrit brutalement ! Quatre solides gaillards entrèrent brusquement avant de laisser place à une ombre sur le seuil. Il portait une canne. Et lorsqu’elle reconnut son visage, Ludmilla souffla par dépit. Drahomir venait la récupérer !

Alex@r60 – mai 2022

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  • Mes petits récits et poèmes érotiques et fantastiques ainsi que quelques souvenirs partagés. Bref une vraie petite librairie ou j'espère que tout le monde trouvera un truc chouette à lire
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