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les écrits fantasmagoriques
17 avril 2022

Transylvanie express (22)

Dirk Wüstenhagen

Ses yeux étaient d’un bleu si profond qu’on pouvait s’y noyer. Ils étaient grands, immenses et rappelaient énormément les personnages de mangas. De temps en temps, elle recoiffait une mèche rebelle. J’étais surpris de voir qu’elle ne portait pas de chignon, mais laissait sa longue chevelure retomber sur les épaules. Si elle n’était pas châtain aux yeux bleus, elle ressemblerait à Ludmilla. Elle riait à son compagnon, exposant de jolies dents blanches. Je remarquai leurs mains se caresser à côté de leurs assiettes qui restaient toujours pleines.

-          Je serai presque jalouse, murmura Ludmilla en montrant un petit air amusé.

Surpris, je réagis en remontant le buste et en détournant le regard. Mon assiette était vide et j’attendais le serveur pour réclamer un dessert. Autour de nous, les tables de la salle à manger étaient toutes occupées par des couples ou juste par des commerçants itinérants. Il n’y avait aucun enfant, aucune famille malgré le standing étoilé du palace.

Un domestique en costume noir récupéra nos assiettes puis revint avec des crêpes Suzette. Je commençai à couper mon dessert lorsque je fus pris de vertige. Tout commença à tanguer; les tables, les clients, la salle entière bougeait au rythme de vagues inexistantes. Mes mains accrochèrent la nappe. J’inspirai fortement sans montrer la moindre émotion.

-          Est-ce que tu me trouves belle ?

-          Comment ? répondis-je

La voix venait de loin. Cependant, elle m’aida à revenir sur terre. Autour de nous, les gens ne bougeaient plus. Ils ressemblaient à des pantins, des marionnettes de chiffon ou de cire. J’observai la fille aux yeux bleus. Ce n’était plus qu’une poupée de porcelaine. La bouche fermée était peinte, ses yeux recouvraient la moitié de son visage blanc et ne remuaient pas. Même le serveur debout derrière la table des salades et des entrées, présenta une stature de mannequin. Seule mon amie gesticulait en mangeant sa crêpe.

-          Comment ? s’étonna-t-elle.

-          Est-ce que tu me trouves belle ?

La voix résonna une seconde fois. Elle venait de très loin. Ludmilla me dévisagea, inquiète de me voir tourner la tête à tout bout de champs. Personne ne remuait. Nous étions cernés de poupées plus ou moins jolies. Je frottai me yeux avant de répondre.

-          Oui, bien sûr !

-          De quoi parles-tu ?

-          Tu m’as demandé si je te trouvais belle, alors je te réponds oui. Tu es très belle.

Elle rougit, et se remit à découper sa crêpe. Les autres clients du restaurant retrouvèrent leur apparence humaine. Dès lors, un brouhaha interrompit brutalement le silence pesant.

-          C’est gentil, mais je n’ai rien dit ! 

Nous ne parlâmes plus, continuant de déguster la fin du repas. Ensuite, nous nous levâmes afin de retourner dans notre chambre. Mais en passant devant le comptoir d’accueil, un concierge nous interpela.

-          Lady Jezikova, vous avez reçu un télégramme.

Surpris, nous nous regardâmes car nous n’avions jamais donné le nom de Ludmilla à qui que ce soit dans l’hôtel. Elle approcha et récupéra le morceau de papier. Son visage blêmit soudainement. Son regard devint humide. Elle pinça ses lèvres entre les dents. Les clients présents dans le hall se transformèrent lentement en mannequin de grand magasin avant de retrouver leur apparence au bout de quelques courtes secondes.

-          Y a-t-il un téléphone, ici ?

-          Désolé madame, c’est en court d’installation partout dans Bucarest. Vous en trouverez un dans le bureau des postes au bout de la rue.

Après quelques explications, elle m’oublia et se dirigea vers la sortie. Je restai éberlué au milieu du hall et ne réagis qu’une fois Ludmilla hors de ma vue. Alors, je me précipitai à l’extérieur du palace. Le portier signala la direction de la jeune femme, mais avec le brouillard, je ne vis pratiquement rien. Dès lors, je marchai au mieux, en espérant ne pas me tromper de rue. Apparemment, le relai de poste n’était pas très loin.

En m’éloignant de l’hôtel, je m’éloignai aussi des bruits de la rue. J’avançai au milieu du brouillard, distinguant mal les façades des maisons pourtant si proches. Je marchai lorsque je vis une silhouette au loin qui avançait à pas pressés.

-          Ludmilla ? criai-je.

Elle s’arrêta et après avoir posé une question, elle reprit son chemin.

-          Est-ce que tu me trouves belle ?

-          Ludmilla ! Attends-moi !

Elle continua de marcher, éloignant la brume devant elle. Sa démarche n’avait rien de naturel, frôlant presque le sol. Sur le coup, je me demandai si je suivais bien Ludmilla. Puis, elle se retourna ; je reconnus son visage, ses joues roses, ses lèvres rouges et ses yeux marron. Dès lors, j’accélérai. Elle ne m’attendit pas, reprenant son pas forcé.

-          Est-ce que tu me trouves belle ? Entendis-je.

L’écho résonna dans mon esprit, comme s’il venait de mon subconscient. Mon amie franchit une grille pour entrer dans une sorte de parc. Cela m’étonna, d’autant qu’elle ne connaissait pas la ville. Elle marcha sur le chemin cerné d’arbres et de brouillard. Elle dégageait sur son passage un parfum de vanille et de fleur d’oranger. Je l’appelai mais toujours elle répondait par :

-          Est-ce que tu me trouves belle ?

Je ne vis rien du jardin, pas plus que de la lumière qui se noircissait de plus en plus. Il était midi, pourtant, on se crut en pleine nuit. Je persistai à suivre Ludmilla. Elle avançait encore dans le parc, s’engouffrant de plus en plus profondément dans ce labyrinthe de verdure et de coton. Elle ne s’arrêta plus, laissant le vent apporter quelques mots à mon ouïe. :

-          Est-ce que tu me trouves belle ?

Alors, essoufflé, fatigué et brutalement pris de vertige, je criai une réponse à moitié étouffée par un manque d’oxygène : « Oui ! ». Ludmilla s’arrêta soudainement pour se retourner et m’attendre. J’essayai de retrouver une respiration normale. Par moment, afin de ne pas tomber, je me retenais en appuyant la main sur l’arbre le plus proche. Elle ne portait plus sa robe de couleur mais un long manteau noir. Une capuche recouvrait ses cheveux. Et un écho brisa le silence :

-          Est-ce que tu me trouves belle ?

Je ne pensai plus ni n’arrivai à parler. Je marchai difficilement en titubant. Mon cœur sembla éclater mes tympans, je l’entendis battre dans ma gorge, dans chacune de mes veines. Aussi, arrivant à cinq mètres de ma compagne, je m’arrêtai avant d’appuyer la main contre un arbre.

-          Est-ce que tu me trouves belle ?

Ses lèvres n’avaient pas remué. Ce n’était pas Ludmilla. La créature portait un masque à l’image de mon amie. Elle glissa jusqu’à moi. L’odeur de vanille et de fleur d’oranger laissèrent place à une odeur putride, une odeur de rat crevé. Elle approcha sans faire de bruit, pourtant, j’entendis bien sa phrase répétée avec agressivité :

-          Est-ce que tu me trouves belle ?

Je fuis ! Je fis demi-tour ! Mais à peine commençai-je à courir que je sentis une pression sur mon épaule. Quelque-chose agrippa mon cou, s’y enfonçant au plus profond. Je sentis mon sang me quitter, Un filet de sang coula aussi de mon nez. Le col de ma chemise se teinta de rouge. La chose buvait goulument, pénétrant toujours ses crocs dans ma chair.

-          Est-ce que tu me trouves belle ?

Je tombai sans réaliser qu’elle venait de parler, alors qu’elle me dévorait, tout en accompagnant mon corps sur le sol. Je crus à mon dernier souffle, je m’attendais à disparaitre, à mourir ici. Et dans un ultime soupir, je murmurai :

-          Oui. Tu es très belle.

A ce moment, elle releva la tête avant de s’évanouir dans le brouillard. Un vent frais frôla mon visage. Je me relevai, exténué, Je courus jusqu’à la grille d’entrée. Puis, après avoir reconnu la rue, je retrouvai la route jusqu’au palace. Ludmilla, habillée de sa jolie robe colorée, m’attendait dans le hall. Elle m’enlaça, heureuse de me revoir. Elle releva le col de ma chemise.

-          Tu es blessé ? demanda-t-elle.

Il était taché de rouge brun. Pourtant je n’avais aucune trace de morsure.

 Photo Dirk Wüstenhagen

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  • Mes petits récits et poèmes érotiques et fantastiques ainsi que quelques souvenirs partagés. Bref une vraie petite librairie ou j'espère que tout le monde trouvera un truc chouette à lire
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