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les écrits fantasmagoriques
8 mars 2022

Transylvanie express (16)

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Ludmilla souffla au moindre cognement contre la cloison. Nos voisins, ceux qui occupèrent son ancienne cabine n’arrêtèrent pas de baiser. Soit nous les entendions hurler leur plaisir, soit leur vacarme envahissait notre tranquillité.

Elle m’aidait à comprendre la subtilité des langues d’Europe de l’est, sans y parvenir. En fait, j’étais mauvais élève jusqu’à ce que je réalise qu’il m’était impossible de parler sans un affreux accent français. Par contre, je comprenais certains mots, à condition qu’ils soient prononcés lentement. Nous étions en pleine étude, elle à côté de moi, lorsque le charmant couple d’à côté recommença ses bruyants ébats. Encore une fois, mon amie soupira, sans terminer sa phrase.

-          J’avoue qu’ils donnent envie, murmura-t-elle.

-          Et ?

J’attendais qu’elle approchât de moi et commençât à caresser ma peau. J’entendais déjà le chuchotement entre ses lèvres au creux de mon oreille ; un «déshabille-toi » ou « prends-moi ». Mais finalement, elle referma le livre qu’elle tenait dans la main en disant :

-          Heureusement que nous ne sommes pas comme eux.

Il était toujours compliqué de voir à travers la fenêtre. La brume englobait tout et je commençais à croire que ce brouillard était présent sur toute la surface de la planète. Cependant, je m’y habituais  autant qu’au bruit du train…et à celui de nos voisins. Quelques passagers marchèrent dans le couloir. Le tintement d’une cloche approcha ensuite.

-          Belgrade ! Nous arrivons bientôt à Belgrade ! Annonça une voix masculine dans différents langages.

En effet, une dizaine de minutes plus tard, le train ralentit avant d’entrer en gare. Dès lors, j’approchai de la fenêtre pour comparer les bâtiments aux précédents. Le quai était fait de bois et à ma grande surprise, il était surchargé de militaires.

Un bataillon complet au garde-à-vous se présentait à nos yeux. Chaque soldat portait ces vieilles casquettes rappelant le combattant français de 1914, celui qui partit la fleur au fusil dans un pantalon grenat et une veste bleue. Par contre, les serbes étaient affublés d’une culotte blanche. Ils avaient tous de longues et épaisses bacchantes, recouvrant le philtrum, cette partie entre les lèvres et le nez. L’arme au pied, aucun ne bougeait, en dehors d’un gradé reconnaissable par les épaulières en forme de pompon. Ce dernier cria quelques mots. Malgré son accent serbe, je reconnus du hongrois.

Soudain le son de la clochette revint en même temps que la voix masculine.

-          Interdit de sortir ! compris-je en l’écoutant.

L’homme de la cabine voisine ouvrit sa fenêtre et s’adressa aux militaires. Un sous gradé répondit. Dès lors, il claqua sa fenêtre et sortit précipitamment de sa couchette. Quelques éclats de voix retentirent dans le couloir, à cause des personnes ne comprenant rien à ce qu’il se passait. Ludmilla ouvrit la porte laissant entrer la discussion qui ressemblait plus à une engueulade.

Au bout du wagon, ils étaient plusieurs à encercler le contrôleur. L’employé serrait fermement la cloche dans la main droite. Son visage blafard, son sourire grimaçant, ses yeux écarquillés, affichaient sa détresse. Il avait du mal à expliquer pourquoi nous ne pouvions pas sortir du train. Je reconnus le voisin à sa voix. C’était un type de petite taille et au gabarit râblé. Nous approchâmes afin de connaitre la raison de leur discussion.

Lorsque je remarquai la porte ouverte de la cabine voisine, en m’arrêtant devant, je ne pus m’empêcher de jeter un rapide coup d’œil. La cabine ressemblait à la nôtre, à l’exception de la couchette et la salle d’eau, situées à l’opposé.

Ludmilla avança afin de participer à la conversation. Je les regardai débattre. Les uns parlant en levant les yeux en l’air, comme s’ils sollicitaient le saint esprit pour leur venir en aide. Les autres baissant le regard, la mine encore plus triste qu’avant. Et le pauvre employé du chemin de fer qui haussait les épaules, expliquant du mieux qu’il pouvait une fatalité dont il était aussi victime.

Un étrange râle provenant de la cabine, m’intrigua tout à coup. Je remarquai à travers la fenêtre la silhouette noire, ombre chinoise, dessinée par la gare. Le gémissement recommença, se faisant plus intense. Je me demandai si la femme du couple allait bien. Un nouveau râle, cette fois-ci plus sifflante, me poussa à entrer afin de m’assurer qu’elle n’avait pas besoin d’aide. De plus, l’homme, le dos tourné et trop occupé, ne me voyait pas.

Une fois entré, et les entendant toujours discuter, j’avançai doucement, espérant ne pas déranger. Ce n’était pas dans mes habitudes que de pénétrer l’intimité des gens, mais j’avais en moi, ce vif sentiment qu’elle était en danger. J’avançai d’un pas, puis de deux avant de distinguer sa présence. Au troisième pas, je fus stupéfait de me trouver confronté à un mannequin vêtue d’une vulgaire robe de mariée.

Les articulations de ses membres étaient faits de bois peint en rose. Tandis que les jambes, les bras ressemblaient à des morceaux de plastique, bien que je n’eus pas le temps de reconnaitre leur réelle composition. Je fus surtout choqué par sa posture, la jambe droite pliée à l’envers : Position impossible pour une personne humaine, même souple ! Sous une perruque rousse, son visage demeurait complètement figé.

Ses lèvres entrouvertes laissaient apparaitre le bord de ses dents anormalement blanches. Elle gardait les yeux ouverts telle une poupée qu’elle était. La discussion continuait dans le couloir. La voix de Ludmilla résonna, elle avait haussé le ton pour être écoutée.  Puis, ce fut de nouveau un ramdam impossible, une cohue de mots et de phrases incompréhensibles. La poupée fixait la porte de la salle de bain. Puis, d’un geste brusque, les pupilles de ses yeux se déplacèrent… elle me regardait.

Je sentis mon cœur jaillir au point de reculer d’un pas. Dès lors, un geignement long et strident sortit de sa bouche. Elle semblait essayer de parler. La discussion changea de ton et devint plus calme, aussi je préférai quitter rapidement la cabine. Je laissai la poupée vivante à sa place et à son étrange sort. Elle râla encore. Je m’éloignai pour prendre part à mon tour à la discussion. Lorsque j’approchai de Ludmilla, elle  m’expliqua la situation.

-          Les militaires sont là pour nous interdire de quitter le train. Ils feraient ça à tous les trains qui viennent d’Autriche-Hongrie.

-          Un risque de  guerre ? demandai-je

-          Non ! C’est à cause du mal des méninges. Ils ne veulent pas de contagion, affirma-t-elle.

Une fois le calme arrivé, le contrôleur reprit son chemin en faisant sonner la cloche. Nous le suivîmes jusqu’à notre cabine. Ludmilla entra la première. Avant de la rejoindre, j’observai notre voisin entrer dans la sienne. Son teint bronzé sentait la Méditerranée. Je repensai aux automates de Venise. L’homme afficha un large sourire en signe de salut puis disparut après avoir fermé la porte.

Une fois les réserves remplies, le train repartit en laissant le bataillon attendre le prochain convoi. Le bruit des rails reprit son rythme quotidien. Ludmilla proposa de reprendre la leçon. Elle espérait m’entendre dire une phrase complète en tchèque ou en hongrois, avant la fin du voyage. Elle lut doucement, attendant parfois que je répète ses mots. Puis, elle soupira lorsque nous entendîmes un cognement contre le mur, suivi de couinements. Parce qu’il n’y avait plus rien de romantique dans leurs gémissements.

Alex@r60 – mars 2022

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  • Mes petits récits et poèmes érotiques et fantastiques ainsi que quelques souvenirs partagés. Bref une vraie petite librairie ou j'espère que tout le monde trouvera un truc chouette à lire
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