Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
les écrits fantasmagoriques
29 décembre 2020

Un autre chemin

tumblr_p2ewblgaG41relrdqo1_1280

Le brouillard n’avait jamais été aussi épais que le jour où je suis sorti du train pour passer mes vacances chez mes parents. Cela faisait un an que je n’étais pas allé chez eux. Alors, la valise en main, je traversai péniblement la purée de pois jusqu’à la maison de mon enfance. Surpris, mes parents m’accueillirent comme si j’étais revenu d’entre les morts.

« On pensait que tu ne reviendrai jamais ! » assura ma mère les larmes au bord des yeux. Mon père bougonna avant de dire qu’il était content de me voir. « Depuis tout ce temps, tu aurais pu au moins appeler pour donner de tes nouvelles » marmonna-t-il ensuite. Je  restai stupéfait sur ses propos en signalant qu’on avait discuté par téléphone le mois dernier. Dès lors, il devint rouge de colère, il était prêt à m’engueuler. Je préférai m’éclipser dans la cuisine pour rejoindre ma mère. Toutefois, je l’entendais dire : « cinq ans sans nouvelle et il a le culot de dire qu’on a parlé le mois dernier ! ». Vu son âge et vu les dernières informations, je compris qu’il commençait à perdre la tête, aussi, je préférai ne pas réagir.

L’après-midi fut plus agréable. Nous discutâmes beaucoup. Mes parents furent étonnés d’apprendre que je travaillais sur Paris. Ils étaient persuadés que j’étais encore sur Lyon, alors que j’avais quitté la capitale des Gaules depuis plus de deux ans. Là aussi, je préférais ne pas revenir dessus. Je savais que mon départ de Lyon n’était pas apprécié parce que j’avais tout plaqué pour une fille qui ne leur convenait pas. Mais la vie est faite ainsi.

Par ailleurs, je promis de passer voir la famille, ma sœur, mon frère et quelques cousins avec qui j’étais régulièrement en contact. Il y avait aussi ma grand-mère placée récemment en EHPAD. Le soir mon frère arriva pour diner avec nous. Il en profita pour me présenter sa petite-copine. Elle était mignonne mais un peu jeune à mes yeux. Il faut dire que j’ai quatre ans de plus que Julien.

Au cours des différentes discussions, je fus légèrement troublé par ses propos. Il me parla de son concours pour devenir professeur. Seulement, je croyais qu’il avait déjà un poste. D’ailleurs, dans son dernier message, il était heureux de m’annoncer qu’il était officiellement pris dans un collège sur Amiens. Enfin, je ne portai pas plus attention à ça jusqu’à que nous parlâmes de musique. Mon père était heureux de montrer le dernier album acheté. C’était une compilation de vieilles chansons. En tant qu’amateur de musique, je lisais les noms et fis la remarque que les chanteurs étaient tous morts : « Charles Aznavour, Johnny Hallyday, Serge Reggiani, Claude François, Alice Dona... » « Alice Dona n’est pas morte » insista ma mère. Mon père approuva. « Bin si ! » affirmai-je. J’avais encore en mémoire l’interview de son époux Laurent Boyer. Il était fatigué, la mine triste, le regard ailleurs. Cependant, vu la confiance de mes parents à ce sujet, je préférai vérifier sur Wikipédia et quelle fut ma surprise de constater mon erreur. Alice Dona était toujours vivante.

Je restai un moment troublé par ma confusion. Le visage, la voix de Laurent Boyer se répétait dans mon esprit. Pensant avoir rêvé, je décidai de passer à autre chose. Notre discussion continua sur les chanteurs de variétés. Aussi nous parlâmes de ceux que nous écoutions dans notre enfance. Cela nous amena à nous rappeler les chansons de Dorothée et Chantal Goya. J’avais lu un article sur cette dernière. « Elle est devenue bouffie depuis la mort de son mari » dis-je. Encore une fois, tout le monde regarda avec étonnement. « Mais Jean-Jacques Debout n’est pas mort » affirma mon père. Même Julien lui donnait raison. Je fus perturbé par cette nouvelle. J’avais pourtant bien lu dans l’article que la chanteuse de mon enfance était triste à en être malade depuis qu’elle était veuve. Une nouvelle fois, je consultai internet sur mon smartphone et commençai à me poser des questions en constatant qu’il était encore vivant et bien debout sans faire de mauvais jeu de mot.

Fatigué par le voyage, je quittai tout le monde pour dormir dans mon ancienne chambre. Le lendemain, ma sœur s’était invitée au petit-déjeuner. Elle venait de déposer ses enfants à l’école et partait travailler. Je demandai de leurs nouvelles. Elle me parla du premier avec un bonheur certain et une inquiétude pour le second. Je la laissai s’exprimer sans oser l’interrompre. Après la soirée, je ne voulais pas passer pour un fou, cependant, elle parlait de son dernier comme d’un garçon alors que j’étais sûr qu’il s’agissait d’une fille. Le pire, il ou elle s’appelait Camille… un prénom neutre. De temps en temps, je cherchai des photos sur le vaisselier dans la salle à manger. Mais n’en trouvant aucune, je demandai à ma sœur si elle n’avait pas un portrait de ses enfants. Elle montra quelques photos dans son téléphone. Effectivement, Camille était un garçon. « En tant que son parrain, demain, je lui achèterai un cadeau. Il aime lire ou jouer ?» dis-je. Ma sœur afficha une drôle de moue. « Mais, tu te trompes. Tu as refusé d’être son parrain !» déclara-t-elle. Un silence se fit soudainement. Les visages de mes parents et de ma sœur me fixèrent d’une façon si étrange que je me sentis gêné. Je voulus partir, me cacher sous la table. Toutefois, je ne comprenais pas. J’étais le parrain de ma nièce Camille et ce matin-là, j’apprenais que Camille était un garçon et le filleul d’un autre.

Au fil des jours, je me demandai si j’étais bien moi. Quelques détails apparurent différents comme le parcours professionnel de ma sœur, l’ancien métier de ma mère, mes amis d’enfance, mes jeux préférés, mes loisirs de jeunesses. C’était étrange. Puis, vint le jour où je voulus me promener. Il existe un petit village agréable près de chez mes parents. La Neuville était encerclé d’une immense forêt et son château faisait la fierté de la région. Il avait vu la naissance de Saint Louis et de je ne sais plus qui de célèbre. J’aimais bien me promener dans les jardins qui composent les douves. Seulement, arrivé à la Neuville, le château n’existait plus. A la place, il y avait une espèce de parc et une mare dessinant les contours de ce qui était le château. Dès lors, je partis à la mairie me renseigner au sujet du palais. Mon visage se figea en apprenant qu’il avait été détruit depuis de XVIIIe siècle. Comment était-ce possible puisque je l’ai toujours connu et même visité ? Dedans, il y avait un musée de la porcelaine, un musée sur les bucherons et le travail du bois. Tout cela me perturba au point de me perdre pendant ma balade.

De retour à Paris, je découvrais avec effroi que mon appartement était occupé. Certains de leur droit, les squatteurs appelèrent la police. Les agents leur donnèrent raison et surtout, en montrant ma carte d’identité, je constatai que mon changement de domicile n’y était pas signalé alors que j’avais mis à jour mes papiers à la mairie il y avait bientôt un an. Même les voisins ne me connaissaient pas. J’appelai ensuite, mon ex-copine dont le numéro n’existait pas. Je me demandai si elle-même existait car je ne trouvais pas non plus sa page Facebook alors que nous avions toujours  de bons rapports.

Perdu en plein cauchemar, je divaguais dans les rues de Paris afin de comprendre ce qui m’arrivait. Plus tard, je pensai à mon travail. Alors, je pris la direction du bureau. La façade était la même ainsi que la secrétaire d’accueil. Après un bonjour amical comme toujours auquel elle répondit froidement, je découvris que je n’avais jamais travaillé dans cet endroit. Alors, je téléphonai à mon ancien taf et découvris que j’y étais toujours.

Elle m’attendait devant la gare Saint-Exupéry à Lyon. Ses cheveux étaient plus courts et faisaient plus femme. En me voyant, elle sourit et me demanda si le voyage s’était bien passé. Je ne répondis pas. Surpris de la voir heureuse de me voir alors que je l’avais quittée il y a plus de trois ans. Elle demanda des nouvelles de mes parents. Je répondis qu’ils allaient bien. Je m’assis dans la coccinelle, elle avait toujours aimé ce genre de petite voiture. Et pendant le trajet, elle demanda pourquoi je n’avais pas donné de nouvelles. Dès lors, je vérifiai mon téléphone. J’avais bloqué son numéro parce qu’à l’époque, elle me harcelait. Mais là, mon journal d’appel affichait plus cent messages et appels de sa part sans que je ne m’en rendre compte. « Je voulais faire le vide, me ressourcer vraiment…» murmurai-je. « En oubliant ta propre famille ? Nous ? » Je tournai la tête vivement en fronçant les sourcils. « Nous ? » Interrogeai-je. « Oui, moi et Mélissa, ta fille. D’ailleurs, on va la récupérer, elle est chez sa nourrice. »

Un long silence plana durant le reste du trajet. Puis, elle arrêta la voiture dans une petite rue pas très loin du centre-ville. Je l’accompagnais dans un immeuble vétuste et neuf. Nous grimpâmes le premier étage pour arriver devant une porte après un long couloir. Une jeune femme noire nous accueillit avec un grand sourire. Elle nous parla avec un fort accent africain. Mélissa avait presqu’un an. Elle ne marchait pas encore. Toutefois elle nous reconnut et nous sourit. Je me sentis défaillir quand elle prononça le mot : « Papa, mama ». Puis, naturellement, je la serrai dans mes bras et l’embrassai sur le front. Elle sentait la crème à bébé.

C’est en entrant dans notre appartement que je me suis demandé si je n’avais pas rêvé tout ça. En effet, l’appartement, la chambre, le balcon, tout me revenait étrangement. Le salon ou ma compagne annonça être enceinte, nos engueulades. Le jour où elle me pardonna une nuit dans les bras d’une autre. J’étais persuadé l’avoir quitté pour elle. Mais comment cela était-il possible ?

Le soir, pendant que je regardai Mélissa jouer, ma copine me demanda quand nous irions ensemble chez mes parents. Elle ne les avaient pas vus depuis plus de cinq ans. « La prochaine fois » répondis-je simplement. « Ils sont au courant pour notre fille ? Ils savent qu’elle est née ? » Je ne répondis pas. Elle me regarda avec des yeux qui se remplissaient de désarroi. Je sentais la honte m’envahir. Alors, je me levais et partis dans la chambre après avoir dit être fatigué. Sur le lit, je repensai à tout, à ces trois ans passés dans une autre vie et ces souvenirs qui apparaissaient sans avoir l’impression de les avoir vécus. Je me souvenais de la naissance de Mélissa comme d’un vague souvenir. Je me souvenais de mon travail, de réunions, d’avoir obtenu des contrats sans être réellement présent. C’était vraiment bizarre.

Durant les années qui suivirent, je vécus comme si de rien n’était. J’appréciais de plus en plus la présence de ma concubine et de nos enfants car nous avons eu un garçon plus tard. Je les ai présentés à ma famille. Ils ont tous été étonnés d’apprendre leur existence. Ce matin, je dois déposer mon fils Antoine à l’école maternelle. Mais ce ne sera pas facile car il y a un de ces brouillards dehors. Je n’en ai pas vu comme celui-ci depuis la fois où je suis parti passer quelques jours de vacances chez mes parents. Je me suis souvenu que ce jour ma vie a basculé vers un autre chemin. Alors, dans le hall d’entrée, après avoir constaté qu’on ne voyait rien et après réflexion, j’ai rebroussé chemin. Je suis rentré et j’ai appelé mon bureau puis l’école pour signaler que mon fils était malade. Je n’ai pas voulu voir ma vie changer de nouveau.

Alex@r60 – décembre 2020

Publicité
Publicité
Commentaires
les écrits fantasmagoriques
  • Mes petits récits et poèmes érotiques et fantastiques ainsi que quelques souvenirs partagés. Bref une vraie petite librairie ou j'espère que tout le monde trouvera un truc chouette à lire
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Archives
Pages
Newsletter
Publicité