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les écrits fantasmagoriques
31 mars 2021

L'hôtel particulier (40)

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Chapitre 40 : La balançoire

On oublie toujours mais septembre est un mois d’été. J’avais invité mes amis à un déjeuner. Léopold Marc et Sarah répondirent présent avec enthousiasme, surtout qu’ils n’avaient plus revu Tatiana depuis son retour. Tout ce que je raconterai sur le repas est qu’il fut des plus classiques. Nous étions sur la terrasse à boire un café, la journée passa très vite lorsque Marco fit remarquer l’heure : Seize heures. Toutefois, n’ayant rien à faire, je proposai de continuer à profiter du soleil et de ce petit vent chaud qui rappelait que nous étions encore en été.

Nous jouâmes à un jeu de société dans lequel nous devions deviner les cartes des autres et imaginer leur représentation. C’est assez amusant ! Peu importe qui posa la carte, le dessin représentait une femme aux cheveux longs en train de faire de la balançoire entre des arbres morts. L’image provoqua un étourdissement, une sensation de déjà-vu. Je ne dis rien, préférant ne pas inquiéter mes amis. Tout-à-coup, en cherchant à deviner le poseur de la carte, Marco murmura une phrase le regard vers le parc :

-          Ce qui manque dans votre jardin, c’est un portique ou une balançoire.

-          Avant, il y en avait une, réagit Tatiana.

Elle garda les yeux rivés sur la table, attendant son tour. J’observai ma compagne en me questionnant sur sa réponse. Comment pouvait-elle savoir qu’il existait une balançoire alors que je l’ai su uniquement après avoir lu le journal appartenant à Diane ? Léopold et Sarah s’amusèrent à trouver l’emplacement de la balançoire. Encore une fois, Tatiana surprit toute logique.

-          Elle était à cet endroit, affirma-t-elle en montrant du doigt une zone d’arbres fruitiers.

Dès lors, la sensation de déjà-vu prit le dessus. En effet, j’avais en vision cette balançoire accrochée à un portique en bois. Il pourrissait pratiquement en raison d’un manque d’entretien. Enfin, c’était ce qui me venait à l’esprit ! Tatiana joua à son tour. Je n’entendis rien de sa voix, je me sentais me dédoubler. Dès lors, je bus mon café encore tiède et soufflai tout en fermant les yeux. Au moment d’ouvrir les paupières, la vision était totalement différente.

Tout le monde avait disparu laissant place à de nouvelles têtes. Je ne les connaissais pas pourtant, ces gens m’étaient familiers. Il y avait deux hommes aux coupes de cheveux rasées, l’un portait un marcel blanc, l’autre avait sur les épaules une veste vert-de-gris. Il fumait une cigarette tout en riant. A côté de lui, une femme en tenue de bonne sœur. Je compris vite qu’elle était infirmière et son voile cachait mal ses cheveux châtains. Quant à la dernière du groupe, habillée d’une jupe et d’une veste de la même couleur, elle affichait un sourire éclatant. Sa chevelure permanentée retombait sur les épaules. Elle parlait avec un accent français.

Ils discutaient et profitaient d’une bière en bouteille. J’écoutai sans porter attention lorsqu’une voix retentit venant de la maison. « Joseph ? Joseph ? »

-          Encore cette pute de belge ! dit l’homme en marcel. Mais qu’est-ce qu’il s’est emmerdé à l’avoir amenée !

La voix devint plus proche et plus forte. Je tournai la tête en apercevant sa silhouette. La jeune femme sortit de la grande salle. Sa tenue dépareillait totalement avec les nôtres. Avec ses bouclettes artificielles au-dessus du crâne, elle faisait poule de luxe version film de guerre. Elle dévisagea le groupe avant de dire :

-          Anja, savez-vous où se trouve Joseph ? Vous êtes bien son assistante, non ?

Je croisai le regard de l’infirmière qui montra à mon égard un petit sourire en coin. Elle lança : « C’est pour toi ! ». Aussitôt, je réalisai que le groupe attendait mon intervention. Je découvris avec stupeur que je portais une tenue d’infirmière.

-          Anja ! Etes-vous sourde ? Où est Joseph ? aboya-t-elle.

-          Herr Docteur est dans son laboratoire. Il ne veut pas être dérangé, répondis-je le plus simplement possible.

-          Eh bien, dites-lui que c’est important et que j’ai besoin de lui.

Malgré les sourires compatissants, le petit groupe garda le calme. Ils me regardèrent me lever et partir à l’étage où se trouvait le bureau du docteur Von Meiderich. C’était un homme assez froid, il avait une grande réputation de scientifique spécialisé dans la recherche génétique. D’ailleurs, il fut un peu forcé à entrer dans la SS afin de continuer ses recherches. Himmler n’a pas eu beaucoup de mal à le persuader : Une place honorable dans le monde universitaire, des crédits à volonté, tout ça pour mettre en avant l’Eugénisme aryen.

Les bas sous ma robe uniforme me gênaient. Je sentis qu’ils baissaient bien qu’ils fussent retenus. En grimpant, j’entendis à l’étage les quelques enfants présents. Tous fils de bonne familles ou de héros nazis. Ils étaient là pour aider aux travaux du docteur. Je découvris vite que ce dernier n’était pas dans le bureau mais dans la salle voisine, sa salle d’étude comme il l’appelait.

-          J’avais dit qu’on ne me dérange pas ! affirma-t-il en me voyant entrer.

Une odeur de détergeant imprégnait la chambre transformée en salle d’opération. Quelques meubles contenant des instruments de chirurgie décoraient le lieu. Et au milieu, une table carrelée servant de bloc.  C’était à cet endroit que certaines femmes venaient accoucher. La plupart venant des territoires conquis par la Wehrmacht. Elles restaient ici pour un séjour discret et après quelques tests pour s’assurer que l’enfant sera un bon aryen, elle repartait très souvent seule parce que seules les blondes aux yeux bleus pouvaient prétendre à garder leur progéniture.

Agnès était une de ces blondes rencontrée à Liège. Le beau médecin officier s’était entiché d’elle allant jusqu’à lui promettre le mariage après la guerre. Elle vit à cet instant comme une possibilité de quitter sa vie de misère. Nous étions nombreux à se demander si elle l’aimait réellement.

Joseph nettoya ses mains au robinet, le sang dégoulina pour finir dans le siphon du lavabo. C’est curieux, je suis de nature sensible mais à ce moment, je ne ressentis rien face au corps sur la table. Il était entièrement nu, le ventre ouvert de la gorge au pubis. J’approchai pour l’identifier, c’était le petit Heinrich, il avait dix ans. Mon regard chercha quelques explications. Le savant essuya d’abord ses mains sur une serviette ; du sang tachait sa blouse blanche. Il pointa l’index vers une petite table à côté du lavabo. La lettre posée dessus expliquait que l’enfant avait du sang juif par une arrière-grand-mère et par conséquent, il devait quitter la nurserie.

-          Il était bon pour un camp, alors j’ai préféré qu’il serve au progrès de la science, dit le docteur.

Depuis la création du lebensborn, il y avait une cruauté irréelle en cet homme qui était autrefois sympathique. Il était comme pris de frénésie et semblait avoir plaisir à disséquer ou tuer au nom de la recherche. Je ne répondis pas. J’approchai et susurrai doucement « Auf wiedersehen, Junge. Le visage du gamin était paisible, il n’a rien senti, il était parti après une injection. Des organes reposaient sur une table roulante, je n’y portai pas attention. Et après avoir expliqué ma présence, Joseph bailla avant de dire qu’il finit et irait voir sa compagne plus tard.

En descendant, j’entendis une voix féminine hurler contre les enfants. L’infirmière en chef les rappela à l’ordre pour les envoyer au lit. Le dortoir occupait tout le second étage, le rez-de-chaussée était réservé aux femmes enceintes et au personnel. Quant au premier étage, c’était uniquement pour les expériences tout comme la grange.

Mon retour dans le groupe fut le prétexte pour arrêter la pause. Je signalai qu’il y avait du nettoyage. Alors, les deux hommes soufflèrent avant de se diriger en direction du laboratoire. L’infirmière retourna travailler pendant que la secrétaire ramassait les bouteilles afin de les jeter. Je pris une cigarette roulée et tirai dessus. En même temps, je regardai le  parc devant moi. Il y avait ce portique abandonné. La barre transversale était fêlée et il risquait de s’effondrer d’un moment à l’autre. Cependant, j’eus une étrange vision, celle d’un enfant en train de se balancer. Il n’était pas normal, il paraissait flou. Je remarquai ses cheveux longs ainsi que sa robe noire. La gamine semblait être en deuil. Soudain, un petit garçon que je reconnus approcha de la fille. Cette dernière quitta la balançoire pour laisser la place au garçon. Elle le poussa doucement.

-          Arthur ? Tu es avec nous ?

Je tournai la tête. Mes amis m’observaient avec de grands yeux inquiets. Sans m’en rendre compte, je m’étais dirigé jusqu’au bord de la terrasse.

-          Oui, ça va… Je réfléchissais sur cette idée de portique.

Je me rassis, expirai légèrement l’air de mes poumons. La partie n’était pas encore finie. Je pris mon temps pour jouer puis j’ai oublié que j’ai déjà vécu dans cette maison…dans une vie antérieure.

Alex@r60 – mars 2021

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  • Mes petits récits et poèmes érotiques et fantastiques ainsi que quelques souvenirs partagés. Bref une vraie petite librairie ou j'espère que tout le monde trouvera un truc chouette à lire
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